©Antoine Peultier

"Nos études technologiques le prouvent : il faut utiliser du bois scolyté"

En 2018, les pessières françaises (forêts peuplées d’épicéas), principalement situées en région Grand Est et en Bourgogne-Franche-Comté, ont été très lourdement infestées par un ravageur : le scolyte typographe. Ce dossier, co-écrit par la Fédération nationale des Communes forestières et l'ONF, revient sur la gestion de cette crise de grande ampleur. Nathalie Mionetto, chargée de territoire Nord-Est à l’Institut Technologique FCBA, explique pourquoi ce centre technique industriel s’est intéressé au bois scolyté et ce qu’ont démontré les nombreuses expérimentations réalisées sur ce bois qui, sans aucun doute, présente les mêmes caractéristiques qu'un bois sain.

Pourquoi FCBA s’intéresse-t-il au bois scolyté ?

Au moment où survient la crise des scolytes de l’épicéa, en 2018, les forestiers, les scieurs, les négociants…tous nous faisaient part de leur grande préoccupation, de la Bourgogne-Franche-Comté en passant par le Grand Est et l’Auvergne-Rhône-Alpes. En conséquence, le marché s’est retrouvé inondé de bois scolyté, et les scieries ne savaient que faire de cet afflux de matériau.

C’est à ce moment-là que nous nous sommes demandés ce que nous pouvions faire pour valoriser ces épicéas scolytés. Nous ne voulions pas qu’ils se destinent à des usages peu nobles car l’épicéa est un très bon bois : on l’utilise pour la charpente, pour des bois-collés ou pour des bois d’ingénierie.

A l’Institut, nos scientifiques savaient que le scolyte n’endommageait que la partie périphérique de l’arbre, et qu’il n’y avait aucune raison de le déprécier puisque la majeure partie du tronc offrait un bois de qualité. C’est cela que nous voulions prouver !

FCBA a donc proposé un protocole de caractérisation et l’ADEME s’est proposé comme financeur de notre projet de recherche. Nous ont rejoint ensuite : FIBOIS Bourgogne-Franche-Comté ainsi que le cluster d’entreprises ROBINS qui représentait le secteur de la deuxième transformation du bois et de l’ameublement. Un certain nombre d’architectes souhaitait notamment s’assurer qu’ils pouvaient travailler le bois scolyté en retrouvant toutes les qualités d’un bois sain.

Comment s’est déroulée cette étude d’importance ?

Notre étude comparative a été réalisée sur des épicéas sains, des épicéas « frais », légèrement scolytés, des épicéas scolytés depuis longtemps et des épicéas « scolytés secs » ou déjà morts sur pieds. Nous avons effectué des tests sur toutes ces familles.

A l’issue de ces expérimentations, le bilan était clair : le bois scolyté est utilisable en construction, qu’il s’agisse de bois massif ou de bois collé. Bien-sûr, à l’étape du sciage on perd forcément un peu de rendement, entre 10 et 15% par rapport à du bois non-attaqué, mais cela concerne seulement les épicéas très secs. C’est une perte surmontable.

Ce qu’on a constaté au niveau du séchage du bois, du collage et de la finition, c’est qu’il n’y a aucune différence qualitative entre le bois sain et le bois scolyté. Et d’un point de vue esthétique, le bleuissement du bois peut même présenter un intérêt pour certains designers. Nous avons travaillé avec certains d’entre eux qui ont trouvé cette couleur exceptionnelle pour leurs futures créations.

Tests sur des grumes d'épicéas scolytés à différents stades

Comment avez-vous fait connaître vos conclusions aux acteurs de la filière forêt-bois ?

De nombreuses réunions de travail et d'échanges ont été organisées pour communiquer auprès des bureaux d'études, architectes, industriels, et convaincre ces acteurs des qualités mécaniques de ce bois. Nous allons pousser encore plus loin nos recherches afin de prouver qu’une fois le bois séché, le champignon responsable du bleuissement du bois, ne se développe plus.

Identifiez-vous d'autres défis sur cette problématique ?

L’enjeu aujourd’hui, c’est d’aller au-delà de la profession. Les consommateurs aussi doivent apprendre à connaître ce bois très particulier, et à l’apprécier sans réticence. Les murs et les poutres des logements ou des bâtiments ne leur tomberont pas sur la tête !

Le bois est une matière vivante qui n’est pas toujours homogène. Enfin avec le changement climatique, il y aura malheureusement d’autres crises comme celle du scolyte de l’épicéa. Il faut donc apprendre dès aujourd’hui à utiliser des bois qui seront porteurs de singularités.

FCBA travaille déjà dans ce sens et étudie actuellement de nombreux bois dépérissants pour anticiper sur les débouchés à venir.

 

Connaissez-vous FCBA ?

C’est le Centre Technique Industriel de la filière forêt-bois : F pour forêt, C pour cellulose (ou toutes les molécules qui sont à l’intérieur du bois), B pour bois construction et A pour ameublement (aménagement intérieur et extérieur).

Présent sur tous les secteurs de la filière, FCBA aide les industriels et les institutionnels à mieux utiliser et valoriser le bois dans la construction. Il se distingue également dans la recherche en amélioration génétique sur différentes essences.

L’organisme compte deux grands laboratoires basés à Champs-sur-Marne et à Bordeaux ; tous deux respectivement spécialisés en ameublement et en bois-construction.

De plus, le Bureau de Normalisation du Bois et de l’Ameublement (BNBA), intégré à FCBA, anime et coordonne les travaux de normalisation du bois et de ses produits dérivés.

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