Les secondes vies du bois scolyté

En 2018, les pessières françaises (forêts peuplées d’épicéas), principalement situées en région Grand Est et en Bourgogne-Franche-Comté, ont été très lourdement infestées par un ravageur : le scolyte typographe. Ce dossier, co-écrit par la Fédération nationale des Communes forestières et l'ONF, revient sur la gestion de cette crise de grande ampleur.

Profitant du réchauffement climatique, l’insecte de type coléoptère a élu domicile sous les écorces des arbres affaiblis par les très grandes sécheresses qui se multiplient chaque été, depuis lors. Ces épisodes de grande aridité rendent les arbres, en l’occurrence les épicéas, plus vulnérables à toute forme d’attaque. Le scolyte typographe aurait pu s’arrêter là mais il a un esprit de conquête : une fois établi sur un épicéa, il s’empresse d’aller en coloniser un autre.

Ces précisions biologiques servent à rappeler comment en France, la quasi-totalité des épicéas de plaine (sous 800 mètres d’altitude) ont été ravagés, en moins de trois ans. Le Grand Est et la région Bourgogne-Franche-Comté remportent les tristes premières places des régions les plus sinistrées, avec 20 millions de mètres cubes de bois concernés, représentant environ 60 000 hectares de forêt (publique et privée).

Les forêts d’Auvergne-Rhône-Alpes (principalement le département de l’Ain) et de Normandie sont également fortement touchées par l’épidémie.

« L’ampleur des dégâts est colossale. Cela représente plus de 6 ans de récolte nationale en épicéas concentrée sur 2 régions »

Aymeric Albert, chef du Département commercial bois à l’ONF.

Au-delà de ces chiffres alarmants constatés et diagnostiqués par les forestiers, s’ajoutait une urgence indispensable à gérer : celle de récolter rapidement les arbres contaminés pour éviter la propagation de l'épidémie sur les peuplements voisins.

Une fois le scolyte mâle installé, les femelles scolytes le rejoignent, pondent sous l’écorce, les larves y pullulent, creusent des galeries, bloquant ainsi tout le système vasculaire de l’arbre. Autrement dit, leur présence empêche la bonne circulation de la sève qui, d’ordinaire, sous des conditions climatiques « normales », permet justement à l’arbre de se défendre contre les attaques extérieures.

La gestion de crise

Pour répondre à cette urgence, l’ONF et les élus des Communes forestières furent à pied d’œuvre tout au long de la crise pour agir au plus vite.

« Dans les zones traitées, le scolyte est condamné car il n’y a plus rien à attaquer. Néanmoins, il reste des gisements d’épicéas dans les Ardennes ainsi que dans les hautes chaînes des Vosges et du Jura. Le scolyte qui n’est pas encore monté si haut pourrait très bien s’y diriger », reconnaît Aymeric Albert, inquiet des effets de la sécheresse de 2022 et du fort stress hydrique ressenti par les arbres.

Face aux risques de réapparition du coléoptère, les forestiers s’organisent. Là où le scolyte n’était alors qu’une menace connue mais ponctuelle, il est aujourd’hui entièrement intégré aux missions journalières de surveillance réalisées par les équipes de l’ONF. « Dans le Grand Est, bien que l’épidémie soit dernière nous, nous restons très vigilants. Cela change notre façon de réagir : avant on raisonnait en crise, désormais on est en anticipation constante pour diagnostiquer les dépérissements et réagir au plus vite », témoigne Lilian Duband, chargé de mission territorial reconstitution et adaptation de la sylviculture en Bourgogne-Franche-Comté

Bois scolytés : des débouchés identiques à ceux d'un bois sain

A la suite de la crise des scolytes, les volumes d’épicéas vendus sont depuis en forte diminution. Néanmoins, malgré cette fragilité et des millions de mètres cubes attaqués, le bois malade n’est heureusement pas du bois perdu ! La totalité du bois scolyté en raison des assauts subis entre 2018 et 2021 a été coupée et vendue.

« Plus de 60% de ces bois ont très vite été vendus grâce aux contrats d’approvisionnement qui stipulaient une intervention rapide pour exploiter et sortir les bois des forêts, seule façon de lutter efficacement contre le parasite », précise Aymeric Albert. La solidarité entre les Communes forestières a également permis de vendre en priorité le bois des communes les plus touchées.

Concernant les débouchés de ce bois, la recherche se veut rassurante : « Un bois scolyté prend une coloration bleu-gris en raison de la présence d’un champignon inoculé à l’arbre par le scolyte. A la vente, cette coloration provoque un déclassement mais la bonne nouvelle c’est que ce bois ne perd aucune de ses qualités mécaniques ! Sa compression et sa résistance sont les mêmes que celles d’un bois sain, on peut donc en avoir le même usage. »

C’est ainsi que le bois scolyté vendu a pu être utilisé pour faire de la charpente, des palettes pour le bois d’œuvre et du papier. Au sein du nouveau siège de l’ONF inauguré en juillet 2022 et réalisé avec du bois entièrement français issu des forêts domaniales, les architectes Vincent Lavergne et Samuel Poutoux ont ainsi travaillé sur la base d’une utilisation importante de bois scolyté. Tous les épicéas utilisés dans la conception du siège sont issus de peuplement scolytés : cela représente 4000 mètres cubes de grumes.

Utilisation de bois scolyté dans la charpente du siège de l'ONF à Maisons-Alfort

Valorisation du bois scolyté : les Communes forestières mobilisées

En France, des municipalités propriétaires de forêts touchées par l’épidémie de scolytes ont elles aussi pris le parti de réutiliser ce bois contaminé.

Située en Bourgogne-Franche-Comté, Préval, le syndicat de prévention et valorisation des déchets, en partenariat avec la Commune forestière de Maîche ont ainsi lancé en 2021 un projet de construction d’une recyclerie dont l’ossature est composée d’épicéas scolytés récoltés sur une parcelle forestière de la commune.

L’objectif visé par le projet était de réduire les déchets et d’éviter le gaspillage, y compris dans sa construction. La réflexion s’est donc rapidement tournée vers l’utilisation de bois scolyté, répondant à une problématique actuelle de dépérissement des peuplements d’épicéas en Bourgogne-Franche-Comté et en Europe. (…) A travers ce bâtiment, nous souhaitions contribuer à redonner de la valeur à un produit sous-valorisé principalement pour des raisons esthétiques."

Constant Cuche, Adjoint au maire de Maîche

Une preuve qu’avec l’engagement de chacun à soutenir les ressources et l’emploi local en développant des circuits-courts dans les territoires, ce bois décoloré et déclassé devrait objectivement avoir de beaux jours devant lui !

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