Epicéas, sapins, hêtres... Ces arbres qui souffrent de la sécheresse

Face à la sécheresse et aux vagues de chaleur exceptionnelles, les essences forestières n’ont pas les mêmes défenses immunitaires. Quelles sont celles qui subissent de plein fouet le changement climatique ? Et comment renforcer leur résilience ?

Mauvaise passe pour les forêts françaises. D'intensité variable selon les régions, la végétation souffre du manque d’eau, avec des conséquences bien souvent irréversibles. La situation résulte de la sécheresse de 2018. À savoir, l'année la plus chaude jamais enregistrée par Météo France.

Face aux sécheresses successives et à la hausse du mercure, les arbres ne réagissent pas tous de la même manière, rappelle le Département de la santé des forêts du ministère de l'Agriculture et de l'Alimentation dans sa lettre n°54 : "L’année 2019 accumule les mortalités d’arbres adultes, en particulier chez les épicéas, les hêtres, les sapins et les pins sylvestres." Et d'ajouter : "La situation est évolutive et les effets sur les forêts continueront à se manifester et seront dépendantes du climat à venir."

Signalement de dépérissements de sapin pectiné, observés par les correspondants-observateurs du DSF en 2022. - ©DSF

Les essences forestières les plus durement touchées subissent généralement une altération de leur couverture végétale (jaunissements, rougissements et pertes de feuilles), réaction symptomatique des arbres aux changements climatiques. Tout aussi préoccupant, les effets conjugués d'un manque d'eau et des fortes chaleurs sont un terreau fertile à la prolifération d'insectes cambiophages au sein des peuplements. En s'attaquant aux troncs, ces bioagresseurs engendrent le dépérissement, puis la mort des arbres déjà fragilisés par le climat.

En France, les dégats s'observent principalement dans les régions Grand Est et Bourgogne-Franche-Comté, mais aussi en Auvergne-Rhône-Alpes (département de l'Ain), et plus localement et Normandie et en Picardie.

©Jean Weber / ONF

Epicéas : un taux de mortalité élevé

Certains parasites profitent de la faiblesse des arbres. Dans les peuplements d'épicéas du nord-est de la France, une épidémie de scolytes - ces petits coléoptères qui se nourrissent de bois et de la sève des épicéas - a marqué l'année 2018. Une fois infectés, ces résineux dépérissent et meurent. Si la présence du ravageur est courante dans la vie d’une forêt, cette année, la situation est d’une intensité bien plus préoccupante que par le passé. Et l'hiver relativement doux n'a pas aidé à atténuer le phénomène : "En général, une grande partie des insectes comme les scolytes meurt au stade larvaire avec le froid et la pluie. Mais après la sécheresse de 2018, l’hiver a été particulièrement doux, ce qui a permis aux insectes de survivre", détaille Morgane Goudet, chargée de mission au Département de la santé des forêts, pour justifier l’invasion des ravageurs. Les attaques d'insectes ont provoqué des rougissements impressionnants sur les aiguilles des épicéas.

©ONF

Récolter le bois

Sur l'année 2018-2019, deux millions de m3 d'épicéas ont été récoltés en forêt publique, soit le double d'une récolte normale. Parmi ceux-ci, on estime que 60% des arbres sont victimes des scolytes. Les régions les plus marquées est le Grand Est et la Bourgogne-Franche-Comté. Dans le Grand Est justement, 400.000 m3 d'épicéas ont été touchés en 2018, au sein d'un massif aussi emblématique que la forêt domaniale de Verdun.

Plus ponctuellement, des cas de scolytes ont aussi été identifiés au nord des Alpes, en Picardie et en Normandie. En forêts d'Eu et d'Eawy (Normandie) entre autres, 25 à 30.000 m3 de bois scolytés ont été prélevés par les forestiers de l'ONF. La récolte des bois sinistrés est à ce jour la solution la plus efficace et rapide pour limiter les effets de cette crise sanitaire. Par la suite, les forestiers  procéderont au remplacement des peuplements d'épicéas par des essences locales et nouvelles.

Assurer la pérennité de la forêt nécessitera de remplacer des épicéas par des peuplements plus diversifiés en terme d'essences, qui auront une plus forte résistance aux maladies, aux parasites et donc au changement climatique.

Damien Galland, directeur d'agence ONF Verdun.

À lire aussi :

©ONF

Sapins : ils rougissent dans le Grand Est

Autre résineux impacté par la sécheresse : le sapin. En région Grand Est, c'est surtout le sapin pectiné qui a été touché par des rougissements, puis à la sortie de l'hiver 2018-2019, des mortalités importantes ont été enregistrées. "Nous avions déjà eu des dépérissements de sapin après la sécheresse de 2003, mais pas de cette ampleur. C'est aussi le cumul de l'ensemble des dépérissements qui est inquiétant et difficile à gérer pour nous aujourd'hui", note Odile Mougeot, cheffe du service forêt Colmar/Mulhouse à l'ONF. Rien qu'à l'échelle du Haut-Rhin, on estime à 120.000 m3 le volume de sapins victimes de la sécheresse.

Cette essence, très exigeante en humidité, a subi directement les répercussions d'un déficit de précipitation. Lorsque la quantité d'eau transpirée par une plante est supérieure à la quantité qu'elle absorbe, on parle alors de "stress hydrique". Un phénomène qui se produit lorsque le manque de précipitations se prolonge et que les réserves en eau du sol ne sont plus remplies qu'à 40% et moins. Le tout ayant une nouvelle fois favorisé les attaques d'insectes cambiophages sur les peuplements affaiblis, en particulier dans les Vosges, le Jura, le Massif Central, mais également dans les Alpes et les Pyrénées.

Sur le massif vosgien, par exemple, près de 60% de la récolte annuelle est concernée. "On ne se précipite pas non plus à récolter les sapins qui montrent des signes de faiblesse, mais dès qu'ils rougissent, ils sont condamnés. Pour maintenir une activité économique de production de matériaux en bois, l'enjeu est de prélever les arbres de qualité charpente, par exemple, avant qu'ils ne valent plus rien sur le marché", précise Odile Mougeot. Les sapinières les plus concernées sont celles de basse altitude et celles situées sur des sols ayant une faible réserve en eau.

 

©ONF

Une première solution à l'étude

C'est un fait avéré : avec le changement climatique, ces phénomènes sont amenés à croître. C'est la raison pour laquelle l'ONF, via son département de recherche, développement et innovation (RDI), planche sur des nouvelles méthodes d'adaptation des forêts à la hausse des températures. Dans le Grand Est en particulier, un groupe de travail opérationnel piloté par l'ONF, en partenariat avec la délégation régionale du Centre nationale de la propriété forestière (CNPF) et les communes forestières, entend tester des essences distinctes de celles qui sont actuellement gérées dans les forêts de la région.

Parmi les essences retenues, le sapin Bornmuller semble être le candidat idéal. Cette espèce relativement proche du sapin pectiné présente en effet une bonne résistance à la sécheresse en se satisfaisant de 30 mm d'eau par mois en été. "Nous avons sélectionné cette essence originaire de Turquie en anticipation des températures et du niveau de pluviométrie que pourrait connaître le territoire du Grand Est à l'avenir", explique Hubert Schmuck, l'un des deux référents techniques de cette expérimentation.

Zoom sur : la forêt domaniale de la Hardt (Alsace)

Soumise à des contraintes hydriques très fortes depuis toujours, avec des sols très secs, la forêt domaniale de la Harth (13.000 ha) fait office de laboratoire pour l'expérimentation d'essences plus résistantes au changement climatique. Comme les sapins de Turquie ou de Bornmüller, par exemple, qui sont restés bien verts cette année en dépit des conditions climatiques extrêmes.

À lire aussi :

©ONF

Hêtres : des dépérissements inédits

Plus surprenant encore, la sécheresse frappe des essences épargnées jusqu'alors. Dans le Grand Est et en Bourgogne-Franche-Comté, les forestiers de l'ONF ont observé des mortalités exceptionnelles de hêtres adultes, en particulier sur l'axe Belfort-Gray (Haute-Saône). Les deux canicules de 2018 et 2019 (+ de 41° en Lorraine) et la sécheresse ont totalement desséché, voire brûlé les feuilles. "Les premiers symptômes sont apparus au printemps 2019 lorsque les forestiers se sont rendu compte que certains hêtres n’avaient pas débourré, c’est-à-dire qu’ils n’avaient pas fait de feuilles", explique Morgane Goudet.

Pour les hêtres, il s'agit d'une première. "En août 2018, nous avions observé un phénomène de défense des hêtres en période de sécheresse. Leurs feuilles avaient roussi et certains arbres les avaient perdues. Cette réaction est normale, mais habituellement, la plupart des arbres reprennent au printemps. Le hêtre était réputé pour bien réagir à la sécheresse", développe Jean-François Boquet, adjoint au directeur territorial de Bourgogne-Franche-Comté à l'ONF, "mais au printemps 2019, pourtant, un grand nombre de hêtres n’ont pas renouvelé leur feuillage".

La sécheresse a provoqué des embolies dans le bois, reconnaissables par des taches noires sur la partie supérieure des feuilles, pouvant entraîner la mort des arbres. Cette dégradation visuelle nous fait craindre le déclassement du hêtre, ce qui pose un véritable problème pour la commercialisation.

Jean-François Boquet, adjoint au directeur territorial Bourgogne-Franche-Comté à l'ONF

Dans la région, on estime à plusieurs dizaines de milliers d'hectares et à des centaines de milliers de m3 de bois impactés. Alors que le hêtre est habituellement destiné à du petit sciage ou à la fabrication de mobilier, il risque là d'être dirigé plutôt vers la filière de l’énergie. Pour répondre au mieux à ces enjeux de commercialisation, l’ONF organise des tests de sciage. L’objectif est avant tout d’évaluer le niveau de dégradation des bois, mais aussi de voir s’ils peuvent être vendus sur leur marché d’origine, ou s'il faut leur trouver un autre marché. Dans le reste de la France, les forestiers restent en alerte, car ils s'attendent à des mortalités en 2020 en répercussion des sécheresses de 2019.

La surveillance des chênaies enclenchée

Premiers feuillus touchés, les hêtres sont globalement plus atteints que les chênes par exemple. "On s’attend à ce que le chêne soit touché également", anticipe pourtant Morgane Goudet du Département de la santé des forêts. En concertation avec l’ONF, le DSF prévoit de réaliser un état des lieux des mortalités dans les chênaies à l’hiver 2019-2020. Ces informations serviront de point zéro pour suivre l’évolution du phénomène sur les chênes.

Pins : les parasites prolifèrent

Le pin, lui aussi, est la cible de nombreux ravageurs, qui ont su profiter des conditions climatiques extrêmes des dernières années et de la fragilité des arbres. En Corse notamment, les pins sylvestres et les pins laricio sont touchés par une forte mortalité. Sténographes, buprestidés, hylésines, pissodes, acuminés… Tout comme les scolytes sur l’épicéa, ces insectes s’attaquent aux pins en consommant les tissus conducteurs de sève et en décollant leurs écorces. Ces insectes sont également à l’origine de dégâts dans le Nord, en Seine-et-Marne, Essonne et Indre. D’après le Département santé des forêts, "les mortalités atteignent fréquemment 30% et localement 80 % des tiges".

Les peuplements de pin sont également touchés par un champignon : le sphaeropsis des pins. Capable de coloniser divers tissus des pins sans causer de dépérissement, il est davantage nocif lorsque l’arbre attaqué se trouve en situation de stress hydrique. Le champignon devient alors pathogène. Il provoque le rougissement des aiguilles et le dessèchement des parties aériennes. Lorsque les arbres sont affectés à plus de 50 %, ils sont condamnés. Sur la commune de Beaune-d'Allier en Auvergne-Rhônes-Alpes, "la combinaison des facteurs sécheresse et sphaeropsis a engendré jusqu'à 80 % de mortalité", relève le DSF.

Et les autres essences ?

Pour certaines autres essences, on observe des symptômes compatibles avec le stress hydrique comme " la baisse de fructifications des châtaigneraies de la Creuse, les jaunissements des douglaisaies de Corrèze, ou encore les houppiers clairs des chênaies et des robiniers du massif central", détaille le DSF. Dans les années à venir, les conséquences des sécheresses de 2018 et 2019 continueront d'être scrutées à la loupe par les correspondants-observateurs du DSF, les forestiers de l'ONF et les scientifiques.

Pour aller plus loin encore :