“La force des îlots d’avenir, c’est la vision de réseau et la multiplication de sites dans des contextes contrastés”

En forêt publique, l’Office national des forêts (ONF) installe un réseau d’îlots d’avenir destinés à tester, sur de petites surfaces, de nouvelles essences d’arbres et de nouvelles provenances en conditions réelles de gestion. Le dispositif expérimental a fait émerger des questionnements auxquels a répondu une chercheuse partenaire de cette démarche.
Entretien avec Catherine Bastien, cheffe du département écologie, biodiversité des milieux forestiers, prairiaux et aquatiques à INRAE.

Quelle est la place de la recherche dans la démarche d’îlots d’avenir ?

Il est essentiel d’avoir en tête le caractère expérimental de cette démarche menée par l’ONF. Nous sommes confrontés à une incertitude face à laquelle nous sommes obligés d'expérimenter. Personne ne sait quelle sera l’ampleur et la dynamique du changement climatique, ni comment seront impactés les peuplements forestiers et les espèces qui s’y trouvent. Mais nous avons la certitude qu’il y a bien changement climatique. Donc il faut agir.

L’inaction pourrait entraîner la disparition d’un couvert végétal, la perte de ressources forestières originales et d'intérêt, la perte d’habitats. Pour accompagner les décisions, il y a besoin d’expérimentations démultipliées sur le territoire pour tenir compte de la diversité des conditions. Cela implique un appui scientifique, à la fois dans la réflexion de la mise en place des îlots d’avenir, mais aussi dans leur suivi en termes d’observations ou de modalités de gestion. Dans cette démarche, l’ONF peut compter sur les membres de l'Unité mixte de recherche (UMR) ONF-INRAE, ainsi que sur les membres de la Commission des ressources génétiques forestières (CRGF).

Au sujet de ces îlots d’avenir, plusieurs points font la controverse. A commencer par l’introduction d’essences exotiques. Pourquoi la notion d’exotisme peut-elle faire peur ?

Le sujet est débattu. La notion d’exotisme correspond souvent à une vision de transfert par l’Homme, c’est-à-dire d’implantation. Mais les aires de répartition des espèces ne sont pas fixes, elles ont toujours bougé naturellement. Les îlots d’avenir visent à accompagner des changements climatiques dont la vitesse n’est pas compatible avec celle des processus naturels de migration des plantes. Nous sommes bien dans une dynamique de transformation qui se veut plus rapide que les processus naturels pour atteindre plus vite une meilleure résilience mais surtout une adaptation en continu des forêts, mais nous n’avons pas les moyens de savoir avec exactitude quelles sont les bonnes migrations à effectuer. Nous avons encore besoin d’apprendre, d’où le volet expérimental sur de petites échelles.

Plants de Calocèdre dans la pépinière partenariale Lemonnier. - ©Manon Génin / ONF

Expérimenter, c’est se donner le plus de chances de trouver les bonnes réponses ?

L’expérimentation, c’est quelque chose de complexe. Il n’y a pas une expérimentation qui résout tout. Il y a différents systèmes d’expérimentation qui doivent se parler. La notion de fiabilité, d’efficacité impose des contraintes. Il faut en avoir conscience pour pouvoir compléter une expérimentation par une autre. Pour moi, les îlots d’avenir viennent compléter une forme d’expérimentation qui existe depuis longtemps : les arboretums, qui sont des espaces où l’on plante et étudie le comportement de nombreuses essences d’arbres en jardin commun. Ce qui fait la force des îlots, c’est la vision de réseau expérimental dense et distribué sur le territoire national. Ce n’est pas avec un îlot qu’on pourra dire quoi que ce soit, mais bien avec la multiplication de plantations d’une espèce sur des sites contrastés, même s’ils sont de petite taille.

Autre reproche fait aux îlots d’avenir : le risque d’invasivité des essences implantées. Comment l’éviter ?

Dans un premier lieu, les espèces déjà identifiées comme invasives n’ont pas été retenues dans la liste des espèces éligibles à ce dispositif. Les risques connus sont donc pris en compte. Ensuite, l’ONF réalise une traçabilité de tout matériel introduit du début à la fin. On sait exactement où est plantée chaque espèce et quelle est la provenance des graines à l’origine des plants installés. Il y a une vraie surveillance menée par les forestiers et les scientifiques, à la fois au niveau de la mortalité des plants, mais aussi de l’état sanitaire observé. L’invasivité qui se mesure sur des temps plus longs peut se développer seulement lorsqu’on perd le contrôle de ce suivi. Les îlots d’avenir nous permettront d’acquérir des connaissances sur ces comportements.

Catherine Bastien, membre du comité scientifique de l'ONF

Catherine Bastien est aussi membre du comité scientifique de l'Office national des forêts. Composé de 10 à 15 membres nommés pour quatre ans, ce comité est une instance de réflexion, de proposition et d’évaluation qui se réunit environ deux fois par an. Il intervient et formule des avis à la demande de l’ONF ou en auto-saisine, dans divers domaines : gestion des forêts ; mise en œuvre des politiques nationales ou européennes ayant des incidences sur la gestion forestière ; évaluation des programmes ONF de recherche-développement ou tout sujet relatif à l’activité de l’ONF et ses liens avec l’aménagement du territoire et l’environnement. 

L’hybridation est-elle une menace pour les essences autochtones ? Ou peut-elle être bénéfique pour nos forêts ?

L'hybridation entre arbres voisins d’une même espèce est un processus naturel, elle est également possible entre arbres voisins d’espèces d’un même genre, ces dernières partageant le plus souvent un ancêtre commun et fait partie de l’évolution du vivant. Cette hybridation peut être intéressante quand elle reste à un niveau quantitativement tolérable car elle favorise le maintien de la diversité allélique, et qu’elle ne menace pas la diversité génétique présente dans les ressources autochtones. Il ne faut pas rester sur du "tout" ou du "rien" et plutôt mesurer la capacité d’enrichissement génétique qu’offre une hybridation naturelle dont le fruit sera soumis à sélection naturelle. Il faut comprendre que la démarche d’un gestionnaire forestier est de mobiliser tous les leviers d’adaptation à sa disposition pour maintenir un couvert végétal, voire des espèces dans un environnement changeant tout en gérant en même temps des risques multiples. Des précautions sont prises quant à l’implantation des ilôts d’avenir par rapport à des entités de gestion telles que les unités conservatoires ou les peuplements porte-graines.

Quel est l’intérêt de tester les mêmes essences que celles de nos forêts avec des provenances différentes ?

Les arbres disposent d’une très grande diversité génétique au sein d’une même espèce qui a été façonnée historiquement par la sélection naturelle dans différents environnements. Il est très difficile de résumer la situation d’une espèce avec le comportement d’une provenance donnée, donc nous avons tout intérêt à en tester plusieurs.

L’avantage des îlots d’avenir, c’est d’aller au-delà des tests de résistance à la sécheresse en pépinière, qui apportent une réponse, mais pas forcément la réponse que l’on obtiendra en forêt. On ne peut pas se passer du terrain, de tester sur un cumul d’années climatiques différentes voire des combinaisons de contraintes environnementales différentes (froid, températures extrêmes, sécheresse, ennoyage, vent, risques biotiques). Pour accompagner les décisions d’action et tenir compte de la diversité des contextes, il y a besoin d'expérimentations démultipliées sur le territoire. Le suivi de qualité conduit avec le département recherche, développement et innovation (RDI) de l’ONF permet de combiner la vision des contraintes de l’expérimentation tout en valorisant le retour d’expérience du forestier qui voit et "pratique" la forêt tous les jours.

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