Tempête de 1999 : 20 ans après, la forêt française face à de nouveaux défis

En décembre 1999, la forêt française a été touchée de plein fouet par deux tempêtes consécutives et d'une ampleur inédite. Pour les forestiers de l'ONF, la mobilisation a été immédiate, avec une gestion de crise guidée par l'urgence de sécuriser ces espaces, d'exploiter les bois mis à terre et de garantir à long terme la reconstitution des forêts.

Souvenez-vous… Il y a 20 ans, la France vivait des événements météorologiques exceptionnels encore gravés dans les mémoires de ceux qui étaient présents. Les 26, 27 et 28 décembre 1999, les tempêtes Lothar et Martin frappaient l’Hexagone de plein fouet. Les vents violents accompagnant ces deux cyclones ont causé des dégâts humains, matériels, mais aussi environnementaux.

"C'était la première fois que nous connaissions une catastrophe aussi massive et étendue sur l’ensemble de la forêt française, qu'elle soit publique ou privée", déclare Brigitte Pilard-Landeau de la direction Forêts et risques naturels à l'ONF. La forêt française a en effet notamment subi des dommages sans précédent, avec 6% de sa surface touchée, soit 968 000 hectares d’après l’Inventaire forestier national (IFN). C’est aussi grand que la surface du département de la Gironde !

©IFN

Les régions Grand Est et Sud-Ouest sont les plus impactées, avec en tête, la Lorraine (21%des dégâts) et l’Aquitaine (20%). De nombreux dommages ont également été enregistrés dans le Limousin, la Champagne-Ardenne et le Poitou-Charentes. "En une nuit, l'équivalent de 10 à 12 années de récolte a été mis à terre en forêt de La Coubre (Charente-Maritime) et en forêt de Chizé (Deux-Sèvres)", se souvient Anthony Auffret, directeur de l'agence Poitou-Charentes à l'ONF.

Les dégâts de la tempête en images

©Jean-Pierre Chasseau / ONF

Après la tempête, la reconstruction

Dans les forêts publiques gérées par l'ONF, 144 000 hectares (65 000 en forêt domaniale et 79 000 en forêt communale) sont concernés. Face au chaos d’arbres enchevêtrés ou cassés et aux volumes de bois dévastés, les forestiers ont dû agir vite, en se posant les bonnes questions. "Il fallait d'abord répondre à l'urgence qui consistait à évaluer les dégâts, à sécuriser les parcelles pour le grand public et à évacuer les bois sans endommager les sols", explique t-on à l'ONF . Autre enjeu majeur pour assurer le renouvellement des forêts, identifier le nombre d'hectares à reconstituer. "Sur les peuplements les plus touchés, l'objectif a été ajusté à 100 000 hectares", poursuit Brigitte Pilar-Landeau. Restait alors à savoir de quelle façon les forestiers allaient assurer le renouvellement. "Les mesures post-tempêtes qui avaient été jusqu'alors appliquées nécessitaient évidemment une réactivité forte, mais les dégâts et les surfaces impactées en 1999 nous invitaient à ne pas confondre vitesse et précipitation. Sur les quelques années qui ont suivi les tempêtes, il nous fallait d'abord observer la présence éventuelle ou l'installation de semis (jeunes arbres) et en fonction, évaluer les possibilités d'accompagner la régénération naturelle des peuplements et/ou de compléter par des plantations", témoigne Claudine Richter, cheffe du département Recherche, développement et innovation (RDI) à l'ONF.

 

S'appuyant sur ses experts forestiers et chercheurs, l'ONF édite en 2001 un premier guide pour l'action intitulé "Reconstitution des forêts après tempêtes". La recommandation est de privilégier la régénération naturelle à chaque fois que possible. "Les plantations sont à limiter aux situations où il est nécessaire de changer les essences principales pour des espèces plus adaptées au milieu, et/ou dans les contextes de régénération naturelle difficile : absence de semis, installation d’une végétation herbacée bloquante… ", précise Claudine Richter. Afin d'accompagner les équipes locales dans leurs décisions, un protocole baptisé "REGENAT" est mis en place. Cet outil permet d’évaluer la qualité d’une régénération naturelle sur la base d’un inventaire statistique prenant notamment en compte la densité et la composition des semis forestiers.

Du constat de la catastrophe à la reconstitution, les grandes phases de l’après-tempête

1
Sécuriser les parcelles touchées par les tempêtes
2
Rétablir l'accessibilité à la forêt
3
Protéger les sols et ouvrir des "cloisonnements" d'exploitation ( voies routières permettant aux engins forestiers de circuler dans les parcelles forestières)
5
Cartographier et diagnostiquer les dégâts
6
Conserver et gérer les arbres restés sur pied
7
Définir et planifier les objectifs de reconstitution des forêts
9
Privilégier la régénération naturelle, le mélange d’essences en s’insérant
dans les dynamiques naturelles de végétation
8
Protéger les régénérations de la trop forte présence du gibier (cerfs, chevreuils, sangliers), friands des jeunes pousses
10
Observer et accompagner le renouvellement et la croissance des arbres. Planter si nécessaire.

Un bilan réalisé par l'ONF montre que les surfaces détruites en forêt publique ont été reconstituées à quasiment 100%, avec 65% de régénération naturelle. Dans les autres cas, le développement de végétation herbacée (fougère, graminées, etc.) a empêché le développement des semis et imposé des actions de plantation, avec l’installation d’essences adaptées aux évolutions climatiques et aux potentialités forestières du sol. Le chêne sessile, le pin laricio, le pin maritime et le douglas ont ainsi été les principales essences de reboisement après la tempête de 1999.

©Corentin Deart / ONF

2019 : un nouveau défi face à une immense tempête "silencieuse"

"Reconstituer une forêt, c'est un projet de long terme. Il nous aura fallu plus d'une dizaine d'années pour retrouver un paysage forestier après ces tempêtes", explique Brigitte Pilard-Landeau. Si vingt ans après, les forêts françaises retrouvent peu à peu leur "visage", elles font aujourd'hui face à un nouveau défi sans précédent. La rapidité du changement climatique est une réalité pour les forêts, qui fragilise leur fonctionnement. Le déclenchement des crises sanitaires de 2019, sans précédent dans le grand est de la France depuis les épisodes des pluies acides des années 80, est en lien direct avec des conditions climatiques plus sèches et chaudes. Plus de 218 000 hectares sont ainsi concernés par des dépérissements en forêt publique, dont 58 000 hectares sont touchés sur plus de 50% de leur surface. Ces mortalités sont la conséquence de températures de plus en plus élevées, de sécheresses répétées et d'invasions de ravageurs comme le scolyte, un petit coléoptère qui se nourrit de la sève des arbres jusqu'à leur dépérissement.

Dans ces phénomènes, comme il y a vingt ans, les forestiers retrouvent des similitudes, à commencer par l'ampleur des dégâts ou encore la nécessité d'un diagnostic précoce. Mais Brigitte Pilard-Landeau fait part d'une incertitude beaucoup plus grande qu’en 1999. "Jusqu'à présent, nous assurions le renouvellement de la forêt en fonction des caractéristiques de chaque "station" forestière. Autrement dit, nous prenions en compte le climat actuel, mais pas son évolution", confie-t-elle. Un facteur qui fait la grande différence de cette crise "dont nous connaissons le début, mais pas la fin". Soucieux, les forestiers et les chercheurs déploient aujourd'hui toutes leurs compétences et expertises pour relever ce défi et continuer d'assurer la bonne santé et l'importante présence des forêts qui représentent en France 30% de la surface du pays.

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