Le génie écologique au service de la gestion des dunes

Les dunes, présentes le long du littoral, sont soumises aux aléas des éléments mais aussi au réchauffement climatique. Comment les protéger et les entretenir ? Découvrez les explications de Loic Gouguet, forestier en charge de la préservation du littoral français à l'ONF.

Les dunes prises en charge par l'ONF sont gérées selon une approche dite souple, basée sur le génie écologique utilisant les processus naturels qui ont façonné les dunes : le sable, le vent, la végétation.

Cette approche est loin d’être nouvelle, puisque dès le début du XIXe siècle, les ingénieurs des Ponts et Chaussées puis ceux des Eaux et Forêts, prédécesseurs de ceux de l’ONF, ont rehaussé la dune littorale en utilisant des palissades de bois pour accumuler le sable au plus près de la mer, puis ont planté des oyats pour fixer ce sable. Nos techniques actuelles ne font que perpétuer, en les affinant, ces actions basées sur l’observation et l’imitation des processus naturels.

©Giada Connestari / ONF

A l’heure où les effets du changement global se font sentir, où les prévisions du GIEC montrent que l’érosion des côtes se fera plus rapide, les submersions et les tempêtes sont de plus en plus fréquentes et les dunes littorales, véritables pièges à sable naturels, méritent une attention accrue. Elles constituent un stock de sable mobilisable par la mer au moment des tempêtes et sont le rempart le plus efficace contre l’érosion marine.

Par leur altitude, ces barrières naturelles potentiellement résilientes, protègent les espaces bas situés en amont contre les submersions. Le changement climatique affecte également les dunes boisées : sécheresses, modification des peuplements, problèmes phyto-sanitaires... sont quelques-uns des effets visibles sur les milieux forestiers. 

La gestion souple pratiquée par l’ONF est sans nul doute l’approche la plus viable à long terme, la plus adaptable et la moins coûteuse de toutes. Elle s’appuie sur 3 grands principes :

  • Retenir le sable près de sa source ;
  • protéger les écosystèmes atténuateurs de l’érosion ;
  • accompagner la mobilité.

Deux chiffres à retenir

1.6
million d'euros

investi dans des travaux de reconstitution dunaire

380
kilomètres

de dunes gérées par l'ONF

De la protection des territoires à la conservation des écosystèmes

En collaboration avec les scientifiques, et en réponse à la préoccupation grandissante de la société envers la préservation de la biodiversité, l’ONF, qui se voit confier par le ministère en charge des forêts la mission d’intérêt général de contrôle de l’érosion éolienne sur les dunes domaniales, va alors formaliser le mode de gestion dit du "contrôle souple". Cette méthode vise à utiliser les processus naturels (vent, dynamique végétale...) pour piéger le sable. 

Les savoir-faire de base sont ceux qui permettent de réguler la capacité érosive du vent en réduisant sa vitesse, en facilitant son écoulement et en augmentant la cohésion de la couche superficielle du "sol" dunaire. Les techniques les plus répandues sont de quatre types :

  • les couvertures de débris végétaux ;
  • les brise-vents ;
  • les plantations ;
  • les  modelages.

Dans tous les cas, l'ONF s'appuie sur la tendance naturelle des obstacles meubles à prendre un profil aérodynamique et on cherche à faciliter la colonisation végétale naturelle. En effet, la flore et sa couverture au sol - élément fort du patrimoine biologique - est aussi le principal outil de contrôle de la dynamique dunaire et d'évaluation de l'état du milieu.

Les dunes à l’épreuve des changements climatiques

A la rencontre entre terre et mer, le littoral est soumis aux aléas naturels du territoire dans lequel il s’inscrit. Il s’agit principalement de l’érosion du trait de côte, l’ensablement ou la submersion marine, liés aux évènements météorologiques (tempête, cyclone, forte dépression et vent de mer) ou océanographiques (houle, marée, tsunami) d’ampleur très inhabituelles.

Les modifications générales telles que l’augmentation des températures moyennes, la potentielle augmentation des évènements extrêmes (tempêtes, vagues de chaleur...) entraineront une nécessaire adaptation des écosystèmes forestiers et dunaires littoraux. Parmi les effets constatés et futurs liés aux changements climatiques, les dunes non boisées sont et seront impactées à plusieurs titres :

  • L’aggravation des phénomènes d’érosion marine liée à l’évolution des évènements extrêmes et à l’augmentation du niveau marin moyen va entrainer une perte de surface de terrains, mais également une reprise de l’érosion éolienne sur les littoraux sableux. Le contrôle de la végétalisation des cordons dunaires sera donc primordial pour éviter la remise en mouvement brutale des stocks de sable, menaçant l’arrière-pays (constitué en partie de forêts littorales).
  • Les risques de submersion des zones basses seront augmentés. On assiste déjà, lors de tempêtes, à l’envahissement de peuplements forestiers par la mer dans certaines îles du Centre Atlantique (Oléron et Noirmoutier en particulier).
  • L’élévation du niveau de l’océan pourra aussi se traduire par une remontée de la nappe d’eau salée dans les massifs dunaires, entrainant des dépérissements de la végétation fixatrice en place.

Les gestionnaires devront donc faire preuve de beaucoup d’observation et de pragmatisme pour maintenir la succession la plus complète des habitats dunaires, en suivant les évolutions des milieux naturels, et aussi d’humilité en acceptant parfois de perdre temporairement des faciès durant la translation inéluctable des cordons littoraux.

Grace à une connaissance fine des processus et des sites gérés, à des techniques rustiques, économes et fiables, et à des interventions d’entretien répétées, l’ONF met en œuvre cette gestion qui respecte les processus naturels et vise à remplir simultanément plusieurs fonctions :

  • protéger l’arrière-pays en évitant les invasions sableuses ;
  • conserver des écosystèmes rares et originaux, paysages et lieux de vie recherchés, les dunes "grises" par exemple sont un habitat prioritaire de la Directive européenne "Habitat, faune et flore" ;
  • participer à un accueil touristique raisonné ;
  • modérer l’érosion marine (le sable stocké dans l’avant-dune nourrit la plage pendant les phases d’érosion);
  • constituer un premier rideau d’absorption de l’énergie des houles et éventuellement une zone d’expansion face aux submersions marines, pour protéger les zones basses rétro littorales. 

Les milieux ainsi gérés, selon un principe favorisant les mosaïques d’habitats, sont mieux à même de réagir et d’assurer une résilience forte face aux aléas littoraux (érosion marine, submersion...). Les sites dunaires constituent des écocomplexes résultants d’une évolution biologique vieille de plus de 5.000 ans. La biodiversité y étant considérable, les gestionnaires doivent tout mettre en œuvre pour protéger les éléments les plus remarquables de notre patrimoine naturel collectif. La connaissance des particularités biologiques des milieux dunaires doit permettre, dans le cadre d’une gestion durable, d’assurer une meilleure conservation de ces espaces. 

Construits sur le sommet de la dune durant la Seconde Guerre mondiale, les blockhaus basculant sur la plage sont des témoins incontestables du recul du cordon dunaire - ©Loïc Gouguet ONF

Face à ces défis, les techniques éprouvées basées sur le génie écologique sont susceptibles de permettre l’adaptation des écosystèmes aux évolutions prévisibles... sans compromettre leur adaptation aux conditions futures encore inconnues.

Loïc Gouguet, Chargé de mission Littoral

Traditionnellement, même face à des enjeux faibles, la réponse apportée presque systématiquement consistait à "durcir" le trait de côte par des ouvrages offrant une  protection onéreuse et relative. En ce qui concerne les dunes domaniales, la politique adoptée mise sur le choix de la souplesse.

Cette solution, même envisageable dans des secteurs où le cordon bordier est très réduit, peut permettre de redonner de la largeur au système dunaire et l’aider à mieux remplir son rôle de piège à sable. Les solutions fondées sur la nature demeurent des réponses moins couteuses pour la collectivité nationale, adaptables, et sources de biodiversité. Face à des aléas inéluctables (érosion marine notamment), une gestion raisonnée des milieux dunaires permet de mettre en œuvre progressivement une adaptation du territoire, en concertation avec les populations.

En accompagnant la  dynamique naturelle, le contrôle souple doit favoriser la conscience du risque puisqu’il ne masque pas les effets des processus naturels inévitables. La gestion dunaire doit toutefois s’appuyer sur une maitrise du foncier, car il est nécessaire de pouvoir disposer d’espaces d’accommodation pour organiser un recul maitrisé des dunes. C’est à ce prix que les écosystèmes peuvent s’adapter.

Simple, basée sur la connaissance des écosystèmes de référence préalablement établis, cette technique favorise une mosaïque paysagère, comprenant les différents stades évolutifs, qui donne aux dunes domaniales une meilleure résilience face aux perturbations (naturelles ou anthropiques) et qui génère des paysages attractifs et variés.

 

Plantation d’oyats, filets brise-vent et couvertures de genêts - ©Loïc Gouguet ONF

Les dunes, un écosystème fragile

Depuis le milieu du XXe siècle, les apports de sable s’amenuisent : cette pénurie sédimentaire est due à l’épuisement des stocks sous-marins mobilisables et aux modifications apportées par l’Homme dans le transport des sédiments par les fleuves (barrages, extractions, ouvrages). Les cordons dunaires subissent également l’augmentation de la pression des évolutions sociales (déprise agricole, essor démographique et touristique...), qui amène une multiplication des enjeux sur les côtes : infrastructures, urbanisation, etc.

L’intensité et la fréquence des multiples tempêtes de la fin du XXe et du début du XXIe siècle (tempêtes Lothar, Martin, Klaus, Xynthia...) ont fait prendre conscience aux populations vivant près de la mer que les aléas littoraux pouvaient menacer bon nombre de biens implantés trop près du littoral. Les dunes, avec leur capacité d’adaptation aux forçages météo-marins, peuvent être des espaces tampons permettant une adaptation naturelle (ou accompagnée par le gestionnaire) aux évolutions inéluctables des espaces littoraux. En général, les réponses apportées en matière de gestion du trait de côte sont différentes selon les situations et les enjeux, et différentes options peuvent être retenues :

  • Libre évolution des terrains littoraux ;
  • Accompagnement des processus naturels ;
  • Organisation du repli stratégique ;
  • Maintien du trait de côte en réalisant des ouvrages de défense côtière.

Une histoire des dunes

Historique de la gestion des dunes

17 000 av JC
La fonte des glaces entraîne la montée du niveau des mers d’environ 120 mètres. Cela s’accompagne d’un dépôt de sédiments sur une zone côtière semblable à celle d’aujourd’hui.
Du début du XIVe à la fin du XIXe siècle
C'est le Petit Age Glaciaire. Le niveau de la mer diminue, ce qui apporte une quantité importante de sable sur les côtes.
Début du XIXe siècle
Pour assainir les territoires marécageux dont l’avancée des dunes mobiles entravait les écoulements naturels tout en engloutissant des territoires, l'Etat a organisé la fixation d'une grande partie des dunes littorales de la côte atlantique.

Les massifs dunaires plus au nord, le long de la presqu’île du Cotentin par exemple, bénéficiaient d’une dynamique végétale naturelle permettant le développement d’une végétation fixatrice suffisante. A proximité du rivage, dans les régions à fort transit sableux (Aquitaine, Charente), pour se prémunir de l'envahissement par le sable, les dunes bordières -toujours alimentées par la plage- furent transformées en un cordon continu calibré selon un profil à versant au vent de faible pente, véritable piège à sable édifié au plus près de l’océan.

Des systèmes de palissades en bois, régulièrement remontées au fur et à mesure de leur ensablement, permirent de constituer un bourrelet sableux plus ou moins élevé, plus ou moins large. Il convenait de planter le cordon avec des végétaux adaptés à ces milieux salés, mobiles et ventés : l’oyat (Ammophila arenaria) se révéla l’espèce pionnière la plus adaptée et la plus facilement bouturable pour fixer les dunes.

Pour aller plus loin :

©ONF