Dans le Chablais, les collectivités s’engagent avec l’ONF pour dessiner les forêts de demain

Le syndicat intercommunal d'aménagement du Chablais (SIAC) a confié à l'ONF la création de 6 îlots d'avenir, de petites parcelles permettant de tester différentes essences mieux adaptées au changement climatique. Découvrez comment se déroulent ces plantations d'un nouveau genre.

Les îlots d’avenir sont de petits laboratoires à ciel ouvert, créés en pleine forêt et en conditions réelles de gestion forestière afin de déterminer les essences les plus résistantes au changement climatique qui s’accélère.

Dans ces parcelles expérimentales, les forestiers recueilleront des données sur la croissance des arbres, leur mortalité, ou leur adaptation au terrain. Ce sont des informations précieuses pour la gestion sylvicole de demain. Et parce que laboratoire n’est pas synonyme de sorcellerie, l’ONF mène des études approfondies avant chaque création d’îlot, en lien avec des spécialistes de son réseau Recherche Développement et Innovation (RDI).

Choisir les terrains, une étape primordiale

Les terrains du Chablais faisant l’objet de cette expérimentation se trouvaient dans une impasse sylvicole. C’est-à-dire que l’état des peuplements présents ne permettait pas d’envisager un avenir, soit à cause d’une attaque d’un insecte ravageur (ici, le bostryche), soit à cause de l’absence d’essences adaptées aux conditions climatiques à venir (zones enfrichées). Il était donc nécessaire de les remplacer ou de les enrichir avec des essences mieux adaptées.

Avec le changement climatique, de nombreuses essences locales sont de plus en plus exposées à la sécheresse. Les représentants du territoire du Chablais se sont posé la question de savoir ce qui allait pouvoir pousser, à l'avenir, dans nos forêts. Le SIAC s'est donc associé avec 6 communes du Chablais pour la mise en place de plantations expérimentales afin de tester la tolérance climatique de nouvelles essences forestières.

Pascal Chessel, Vice-président du SIAC et maire de Marin

Pour créer un îlot d’avenir, un mode opératoire national doit être respecté. Un îlot représente une infime partie de la forêt. À titre d’exemple, le plus grand îlot du Chablais, celui de La Baume, s’étend sur 1.5 hectare dans une forêt de 700 hectares, soit 0.2% de la surface totale de la forêt.

Îlot d'avenir sur la commune de Reyvroz - ©Martin Dufournet / ONF

Les sites potentiels ont été proposés aux communes par les techniciens forestiers, qui disposent d’une connaissance fine du terrain. Altitude, exposition, profondeur et texture du sol, contraintes d’engorgement, de pierrosité, de teneur en calcaire, pression du gibier, végétation concurrente... Une multitude de critères a été prise en compte pour croiser le climat local et l’aire de répartition des espèces potentielles.

Dans le Chablais, les terrains proposés ont ensuite fait l’objet d’une concertation intercommunale afin de faire un choix. Le SIAC a lancé un appel à manifestation d’intérêt auprès des 62 communes de son territoire pour laisser à chacune la possibilité de participer. La motivation des élus est primordiale, car après les deux ans de financement du projet par le SIAC, les communes prendront le relais de l’entretien de ces plantations.

Finalement, les communes de Seytroux, Chens-sur-Léman, Reyvroz, Marin, Larringes et La Baume se sont lancées dans cette aventure. Grâce à la diversité des sites (altitude, exposition, types de sol), elles enrichissent le réseau national d’îlots RENEssences. Bien que ce projet n’ait pas d’impact direct et à court terme sur leur forêt, de plus en plus d’élus se mobilisent face au changement climatique. Ici, en accueillant des îlots d’avenir, ils participent à l’amélioration des connaissances qui permettra d’aider les propriétaires forestiers à choisir les essences et provenances d’avenir pour leurs forêts. 

Choisir les bonnes essences

Un jeune pin de Salzmann sur la commune de Seytroux - ©Martin Dufournet / ONF

Une fois le terrain choisi, il convient de statuer sur les essences les mieux adaptées, à la fois au climat actuel et futur.

Les données recueillies par les techniciens locaux sont analysées par les spécialistes de l’ONF, notamment des chargés de sylviculture, en lien avec le réseau RDI. Ils s’appuient sur la plateforme web ClimEssences, un outil développé par le réseau mixte technologique AFORCE) pour aider à choisir des essences adaptées en contexte de climat changeant. Ainsi, si les essences en place connaissent une forte probabilité de dépérissement lié aux sécheresses, le choix se portera sur des essences plus résistantes à un climat sec ou sur les mêmes essences mais provenant de peuplements plus au Sud.

Parmi les essences prometteuses, le chêne pubescent, l’épicéa de Serbie, le pin de Salzmann, le chêne sessile ou encore le cèdre de l’Atlas ont été retenues dans le Chablais.

La plantation et le suivi

La préparation du sol avant la plantation d’un îlot d’avenir est sensiblement la même que lors d’une plantation classique. Elle dépend des essences qui seront plantées mais aussi de la végétation déjà en place et de la présence plus ou moins forte de gibier. En règle générale, le terrain est nettoyé de toute végétation qui pourrait concurrencer les jeunes plants en termes d’exposition à la lumière et de ressource en eau. Mais parfois, conserver une partie de la végétation s’avère nécessaire. 

Sur deux des sites retenus, nous avons coupé localement la végétation (les noisetiers ou framboisiers, la ronce…), mais entre les placeaux plantés, nous l’avons préservée, avec quelques semis naturels d’érable par exemple, afin de rendre la zone difficile d’accès aux chevreuils qui pourraient dévorer les plants.

Martin Dufournet, technicien forestier dans l’unité de Thonon-les-Bains

Cèdre de l'Atlas sur l'îlot de Seytroux - ©Pascal Baud

Une fois les semis placés en terre, un répulsif naturel (à la chaux ou au Trico) ou des manchons de protection contre le gibier sont mis en place sur certaines parcelles particulièrement vulnérables. Le bon développement de l’îlot sera suivi sur 2 ans afin de récolter des données sur le taux de reprise, l’accroissement des plants survivants et l’impact du gibier. Ces données permettront à terme d’effectuer des ajustements et de savoir si l’essence testée pourra être utilisée sur des terrains similaires.

Sur ces 6 îlots, 5 ont été plantés avec succès en 2020, le dernier sera planté d’ici 2022.  Mais le projet ne s’arrête pas là. Face à la réussite de cette opération, de nombreuses communes du Chablais souhaitent à leur tour s’engager et participer à l’élaboration d’une forêt plus résiliente qui permettra de lutter contre le changement climatique.

Cette opération est cofinancée par l’Union Européenne dans le cadre du Fonds Européen Agricole pour le Développement Rural (FEADER), au travers du programme LEADER 2014-2020 du Chablais et par le Département de Haute-Savoie.

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