Labergement-Sainte-Marie : la nature dans tous ses états
Vues de la route, les forêts de montagne peuvent sembler monotones, alignant sur des kilomètres des épicéas bordés par de vastes prairies. Non loin de la frontière suisse, dans une région très prisée des skieurs de fond, la forêt domaniale du Mont-Sainte-Marie déjoue les clichés. La proximité d'un lac et une gestion forestière adaptée ont permis le développement de milieux très différents, qu'on relie en quelques dizaines de minutes de marche.
Cette forêt jurassienne appartenait à l'abbaye du Mont Sainte-Marie, un riche édifice cistercien du XIIe siècle détruit à la Révolution. Elle se compose de trois massifs séparés : la Grand'Côte, la Fuvelle et le Mont de la Croix. Elle fut nationalisée à la Révolution. La balade du jour se limite au premier des trois massifs, le plus riche en paysages et en biodiversité. Un versant de la Grand'Côte abrite une forêt de production (sapins pectinés, hêtres, épicéas essentiellement). L'autre versant abrite une réserve biologique intégrale qui descend jusqu'au lac de Remoray, bien connu des passionnés d'oiseaux.
Le lac de Remoray, réservoir de vie
En 1980, pour sauvegarder les tourbières et autres milieux humides, ce lac d'origine glaciaire et ses abords sont devenus la réserve naturelle nationale du lac de Remoray. C'est l'une des plus riches du Haut-Doubs pour sa faune et sa flore. 218 espèces d'oiseaux y ont été recensées, dont certaines peu courantes comme la bécassine des marais et la marouette ponctuée.
Plus de 200 espèces de papillons, 51 espèces de libellules dont certaines rarissimes ont été répertoriées. Des syrphes, des espèces de mouches très spécialisées y ont été recensées, dont certaines pour la première fois en France. Les plantes ne sont pas en reste, avec de nombreuses orchidées et plantes insectivores.
"La proximité de milieux très différents (lac, marais, prairie, tourbière, forêt) permet à une multitude d'animaux de trouver gîte et couvert dans l'un ou l'autre de ces milieux. Cela explique cette explosion de vie", explique François Chanal responsable de l'Unité territoriale de l'Office national des forêts (ONF) à Labergement-Sainte-Marie.
Grâce à l'équipe de la Réserve, le forestier est associé à de nombreuses études scientifiques sur la flore et la faune locales. Elles orientent la gestion forestière. "Nous avons eu confirmation par exemple que les bois morts, selon qu'ils étaient sur pied ou couchés à terre, n'abritaient pas les mêmes espèces. Dont certaines nous sont utiles pour lutter contre les insectes ravageurs". "Dans le métier de forestier poursuit-il, face aux incertitudes climatiques, "il faut beaucoup observer. Et s'adapter."
Retour à l'état sauvage dans la réserve biologique
Du bois mort, il y en a dans la réserve biologique intégrale de la Grand'Côte qui surplombe le lac. On y accède après avoir traversé un paysage de sapinières et les pâtures occupées par des vaches aux lourdes cloches. La réserve biologique est l'endroit le plus pittoresque et sauvage de la forêt.
Depuis 2019, sur ces 64 hectares, l'intervention humaine se limite à l'élimination des espèces envahissantes et au retrait des bois, uniquement s'ils sont dangereux. "Il a fallu expliquer pourquoi nous laissions pourrir ce bois sans l'exploiter, poursuit le forestier. Ces parcelles laissées en libre évolution vont aussi permettre d'observer les réactions de la faune et de la flore face au réchauffement climatique."
En forêt de Labergement Sainte-Marie avec le forestier de l'ONF
©Elodie de Vreyer / ONFAu départ du parking de la route des Grandes plaines, la boucle de deux heures se fait par un petit sentier ombragé, le chemin de Maclin. Il est plat et facilement accessible aux poussettes. De part et d'autre, de très gros arbres comme un sapin de 230 ans qui culmine à 58 mètres, des églantiers et prunelliers. En ce mois de juin, les papillons volètent, nombreux.
Sur un arbre mort récemment, l'un des premiers colonisateurs vient de s'installer. C'est un gros champignon appelé "langue de bœuf". Ensuite viendront les insectes puis les oiseaux. Pas moins de 2 314 espèces animales et végétales ont été recensées, dont certaines protégées comme le grand murin (chauve-souris), des chouettes de Tengmalm et la Chevêchette d'Europe.
La forêt à ses différents stades d'exploitation
L'autre versant de la Grand'Côte est consacré à l'exploitation du bois, essentiellement des sapins et épicéas. La balade à pied ou en VTT permet de découvrir des parcelles à différents stades de leur vie. Sous les sapins, des pierres moussues semblent empêcher l'installation d'autres plantes. Sur une parcelle plus ancienne pourtant, des feuillus sont apparus.
"Pousser sur des cailloux, c'est possible ! Ici, nous tablons sur la régénération naturelle, l'adaptation génétique des plantes aux changements de l'environnement, explique le forestier. Et nous compléterons si besoin avec des essences locales résistantes à la sécheresse comme le tilleul, l'orme ou les érables planes."
Grâce à la richesse des sols et à des pluies relativement abondantes bien que plus irrégulières, la forêt, pour le moment, se renouvelle plutôt bien à Labergement-Sainte-Marie. Sur les parcelles, les arbres sont d'essences et d'âges différents, assurant un couvert forestier constant (futaie irrégulière). Mais les équipes de l'ONF veulent anticiper l'avenir.
Depuis vingt ans, sur ce territoire qui a construit sa richesse sur la sapinière, François Chanal et ses collègues laissent aussi pousser les feuillus (hêtre, alisier blanc, sorbier des oiseleurs, érable sycomore). "Nous avions 5 % de feuillus dans nos forêts publiques locales il y a vingt ans, 12 % aujourd'hui et l'objectif est d'arriver à 30 %". Car, constate le forestier, cette diversité rend les forêts plus résilientes.
Les parcelles qui ont le mieux résisté aux tempêtes et aux sécheresses étaient mêlées, explique le chef d'Unité territoriale. Les résineux bénéficient de l'humidité dégagée par les feuillus et "on s'est rendu compte que les racines de ces deux familles d'arbres collaborent en quelque sorte dans leur prospection souterraine."
Plus globalement, la préservation de la biodiversité est une priorité sur l'ensemble de la forêt. L'enjeu est d'éviter des intrusions trop fréquentes perturbant la tranquillité des animaux et le cycle des plantes. Un accord avec les agriculteurs favorise la fauche tardive des prés, pour protéger des espèces rares qui nichent au sol comme le râle des genêts et les diverses espèces de papillons.
La richesse des pâtures boisées
Le pâturage boisé de Remoray-Boujeons permet de découvrir un autre paysage : de grandes prairies bordées d'arbres où le bétail peut aller paître. Les herbages sont le domaine de nombreux papillons, dont l'Azuré du serpolet et l'Azuré de la croisette (gentiane). Les larves pondues sur leur plante-hôte sont élevées par des fourmis, qui les confondent avec leurs propres larves !
On trouve aussi nombre d'orchidées, comme l'Orchis de Fuchs, à la fleur rose et aux feuilles tachetées de brun ou la Blanche Orchis à deux feuilles. La diversité floristique permet de fabriquer un lait de qualité : on est ici dans le secteur du comté AOP et du morbier notamment.
De nombreux oiseaux fréquentent aussi ce milieu mêlant milieu ouvert et milieu fermé. "Avec le réchauffement climatique, les pâtures boisés deviennent très importantes car l'herbe y reste verte beaucoup plus longtemps, grâce à l'ombre des arbres", explique François Chanal.
La forêt domaniale du Mont-Sainte-Marie en chiffres
Infos pratiques
- Public
La route des Grandes plaines qui traverse la forêt de la Grand'Côte est facilement praticable. D'autres randonnées sont de niveau moyen.
- Accès
Depuis les villages de Labergement-Sainte-Marie et de Remoray.
- Services
Au bord du lac de Remoray, la Maison de la réserve propose des animations, visites guidées et expositions.
Des itinéraires pédestres et VTT sont proposés sur le site de l'Office de tourisme du Haut-Doubs. Celui-ci présente aussi les offres d'hébergement et de restauration.