©Elodie De Vreyer / ONF

En forêt de Saint-Antoine, les petits ruisseaux font les grandes rivières de l'Histoire

Au sud du massif des Vosges, la forêt domaniale de Saint-Antoine a été exploitée dès le Moyen-Âge pour l’abondance de ses sources et de ses ruisseaux. Régénéré grâce à l’action des forestiers, ce site sauvage et pittoresque abrite l’emblématique grand tétras ainsi que des milieux naturels rares. Partez à sa découverte en compagnie d'un forestier.

Les habitants de Belfort viennent y chercher la fraîcheur estivale et la pente qui mène à l’un de ses sommets, la planche des Belles filles (1148 mètres), fait transpirer régulièrement le Tour de France. La forêt domaniale de Saint-Antoine (Haute-Saône), à l’extrémité sud du massif des Vosges, demeure peu connue et fréquentée. Et pourtant, elle vaut la visite ! 

Son paysage granitique, qui lui donne un relief très tourmenté, est une exception en Franche-Comté dominée par le massif jurassien, calcaire. Pour arpenter les 2 600 hectares, mieux vaut donc ne pas oublier les chaussures de randonnée ! Elles sont indispensables pour affronter sereinement les dénivellations d’un site qui fait de 500 à 1200 mètres d’altitude.

Cette forêt vosgienne atypique, plantée en majorité de sapins, de hêtres et d’épicéas, mais aussi de frênes, érables et tilleuls, est dominée par les Ballons de Servance et d’Alsace. Le paysage façonné par les glaciers a favorisé des milieux naturels rares : pelouses d’altitude, appelées ici "chaumes" et tourbières.

Pour cette raison, 1 400 hectares de la forêt sont classés réserve naturelle nationale des Ballons Comtois, avec des restrictions d’accès du public. Mais il reste largement de quoi voir par ailleurs ! Environ 140 kilomètres de sentiers sont proposés aux randonneurs et cavaliers, aux VTT, skieurs de fond et amateurs de raquettes. Les GR©59 et GR©533 passent aussi dans le secteur.

Partout, de l’eau

La goutte du Curé, celle des Verrues, des Saules ou du Loup... Ici les ruisseaux ("goutte" en langage local) coulent en abondance, dispensant une fraîcheur bien agréable pour le promeneur. Çà et là, un filet d’eau traverse le sentier. Des cascades ponctuent la balade, comme celle de la goutte des Saules, qui se découvre sous des frondaisons touffues. C’est le paradis des fougères, mousses et champignons. Le bruit de l’eau coulant n’est jamais très loin.

Deux rivières, le Rahin et l’Oignon, prennent leur source dans la forêt. Celle-ci constitue d’ailleurs un précieux réservoir pour la ville voisine de Belfort. L’origine glaciaire du site et l’omniprésence de l’eau ont donné naissance à des tourbières. Jouissant longtemps d’une mauvaise réputation, elles régulent pourtant les eaux, stockent le carbone et offrent une extraordinaire biodiversité végétale. De nombreuses espèces ne poussent que dans ce milieu, comme la Drosera (plante carnivore). Les tourbières sont aussi une zone refuge pour de nombreux papillons, libellules, oiseaux et batraciens. Fragiles, celles de Saint-Antoine sont interdites d’accès.

Les tourbières, des sites rares et fragiles, riches en biodiveristé - ©Elodie De Vreyer / ONF

C’est une forêt qui semble très naturelle, alors qu’elle est façonnée par l’homme depuis le Moyen-Âge. Celle que vous voyez aujourd’hui était beaucoup plus clairsemée il y a cent ans, car elle était surexploitée.

Yvan Nicolas, responsable de l’Unité territoriale de Plancher-Giromagny

Les vestiges d’une exploitation précoce

Pauvre pour l’agriculture, le sol granitique de la forêt était en revanche riche en métaux. L’exploitation minière puis industrielle du site, favorisée par la présence de nombreux cours d’eau au cœur de la forêt, a démarré dès le Moyen-Âge. Au départ de Plancher-les-Mines, l’itinéraire dit du Sentier de ronde permet de découvrir les vestiges de cette activité humaine intense. Les archives montrent que dès la première moitié du XVIIIe siècle, le bois venait à manquer !

Des panneaux d’information jalonnent ce circuit imaginé avec l’historien Emmanuel Garnier. Çà et là, on trouve encore des entrées de galeries minières, comme celle du Pont Piron, aujourd’hui refuge pour les chauves-souris. La recherche de cuivre, plomb et argent a attiré des mineurs dès le XVe siècle.

"La montagne est truffée de boyaux permettant tout juste le passage d’un homme", commente Yvan Nicolas, responsable de l’Unité territoriale ONF locale. Des scieries et des verreries se sont ensuite installées, exploitant à la fois le bois et l’eau si abondante. "Si on y ajoute les charbonniers et les paysans qui venaient faire pâturer leurs bêtes, on comprend que déjà, les conflits étaient fréquents entre les différents utilisateurs de la forêt", poursuit le responsable forestier.

Des grumes destinées à la construction (les résineux), à la menuiserie (le hêtre) ou au chauffage - ©Elodie De Vreyer / ONF

Le pont de la Vieille Hutte rappelle ce passé industriel. Haut d’une douzaine de mètres, il permettait le passage vers la verrerie du même nom. En bordure du Rahin, on y fabriquait carreaux et bouteilles de verre (on trouve encore quelques tessons sur le site). Les maîtres verriers brûlaient pour cela d’énormes quantités de bois, afin de récupérer des cendres indispensables à la fabrication du verre. La verrerie a fermé en 1754, faute de bois et après avoir intenté un procès à l’abbaye de Lure, propriétaire de ce morceau de forêt.

La forêt de Saint-Antoine en chiffres

PICTOS web
Surface 2 600 hectares
PICTOS web
1 400 hectares en RNN des Ballons Comtois
Plan de travail 132
Essences principales Sapin, épicéa et hêtre

Le sapin de 250 ans

Il est né vers 1750, sous le règne de Louis XV. Ce sapin haut de 54 mètres a succombé à la fameuse tempête de décembre 1999. Les forestiers l’ont laissé sur place. L’occasion d’admirer la circonférence impressionnante de son tronc et surtout la façon dont la végétation et les insectes recolonisent le bois mort.

Yvan Nicolas devant le sapin géant et vieux de 250 ans abattu par la tempête de décembre 1999 : impressionnant diamètre ! - ©Elodie De Vreyer / ONF

Aujourd’hui, la succession des sécheresses, qui les rend aussi plus sensibles aux ravageurs, fait mourir les sapins. En témoignent ces arbres rougissants rencontrés tout au long de la forêt et les trouées visibles sur les flancs de la montagne. La forêt s’est régénérée depuis un siècle grâce au travail des forestiers, sélectionnant au fil des ans les arbres les plus vigoureux pour la production de bois mais aussi les plus intéressants pour la biodiversité.

Mais demain ? Le réchauffement climatique est un nouveau défi pour l’ONF : "Faut-il planter des arbres de la même famille mais plus résistants ? D’autres essences ? La réflexion n’en est qu’à ses débuts", explique Yvan Nicolas.

Yvan Nicolas vous parle de la forêt de Saint-Antoine

©Elodie De Vreyer / ONF

Appelé aussi grand Coq de bruyère, le Grand tétras est emblématique des forêts vosgiennes, mais en forte diminution dans l’ensemble de la France. Vous aurez très peu de chances de l’apercevoir car ses lieux de prédilection sont inaccessibles au public, pour la protection de l’espèce. L’oiseau est particulièrement vulnérable en hiver, période pendant laquelle il se nourrit d’aiguilles de pin, très peu caloriques. Il vit essentiellement au sol et tout dérangement cause un envol qui peut lui être fatal, en mobilisant trop d’énergie.

En revanche, les sangliers, chevreuils, cerfs, chats sauvages et martres sont bien plus nombreux. Le Lynx aussi a fait sa réapparition, avec des effets positifs selon Yvan Nicolas : "on constate que les animaux qui sont ses proies ont changé de comportement et se concentrent moins sur certains secteurs. C’est une bonne nouvelle pour la biodiversité car la concentration entraîne toujours des déséquilibres du milieu". Au belvédère de Saint-Antoine, qui surplombe la vallée, vous aurez peut-être aussi la chance de voir filer un chamois, adepte de ces escarpements parfois vertigineux...

Autour du belvédère de Saint-Antoine, les chamois ne sont pas loin ! - ©Elodie De Vreyer / ONF

Pour les papilles

Coulemelles, girolles, bolets et autres pieds de mouton foisonnent dès la fin de l’été sous les ombrages. Comme dans les autres forêts domaniales et sous réserve bien sûr de savoir parfaitement les identifier, la cueillette des champignons est autorisée dans le cadre d’une consommation familiale. Il en est de même pour les myrtilles et mûres.

A peine cachées dans les feuilles mortes, des girolles - ©Elodie De Vreyer / ONF

Protégeons la faune et la flore

Une partie de la forêt est classée réserve naturelle nationale. Des restrictions sont mises en place pour le bien-être des animaux et la préservation de la biodiversité :

  • l’accès aux tourbières n’est pas permis ;
  • du 15 décembre au 14 juillet, période d’hivernage, de reproduction et d’élevage, les promeneurs doivent rester sur les sentiers balisés et autorisés ;
  • du 15 juillet au 14 décembre, seuls les piétons sont admis hors des sentiers balisés.

Infos pratiques

  • Public

La forêt est adaptée à un public plutôt sportif, bien que certains chemins puissent accueillir les familles. On est ici en moyenne montagne et le relief est assez accidenté. Prévoir des chaussures adaptées.

Des circuits sont proposés aux randonneurs, VTTistes, cavaliers, skieurs de fond et adeptes de la raquette à neige.

Pour rappel, les chiens sont interdits dans la réserve naturelle.

  • Accès

Il se fait par la RD16 à Plancher-les-Mines au sud de la forêt, ou par le col des Croix, au nord.

  • Services

La station de la Planche des Belles filles, en limite de forêt, propose des activités d’hiver et d’été ainsi que de la restauration quand la station est ouverte. Il n’y a pas d’autre service de restauration aux abords de la forêt. Il peut être utile de prévoir un sandwich ! On trouve un restaurant dans la ville voisine de Plancher-Bas. D’autres restaurants et de l’hôtellerie sont proposés à Ronchamp, à une quinzaine de kilomètres de Plancher-les-Mines.

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