©Giada Connestari / Imagéo / ONF

"Le chêne souffre mais il s’adapte. Il sera sans doute une partie de la solution pour préparer la forêt de demain"

Marion Henry, chargée de sylviculture changement climatique à la direction territoriale Centre-Ouest Aquitaine à l'ONF, dresse, dans cette interview, le diagnostic sanitaire du chêne ; l’essence qui représente presque 25% de la forêt publique. Bien que menacé, le roi de la forêt française plie mais ne rompt pas : la forestière nous explique pourquoi il fait partie des essences d’avenir.
Entretien avec Marion Henry, chargée de sylviculture changement climatique à la direction territoriale Centre-Ouest Aquitaine à l'ONF

Dans quel état de santé se trouve le chêne actuellement ?  

Marion Henry : À l’échelle nationale, je dirais qu’on suit ses réactions face aux évolutions climatiques très attentivement et dans l’Allier, où se situe notamment la très emblématique et très belle forêt de Tronçais, il traverse une crise sanitaire depuis l’été 2020.

Ce qui nous a alerté au départ, c’est l’augmentation du volume d’arbres morts sur pied. C’est la marque d’un stress extrême.. Les forestiers, qui avaient l’habitude de trouver des bois tombés au sol après les tempêtes hivernales, ont vu ce volume d’arbres morts sur pied augmenter significativement dès l’été 2018.

Quand on voit qu’il fait plus de 40 degrés au sol, il faut imaginer ce que cela peut donner à 40 mètres de haut. Au niveau des feuilles : cela grille littéralement tout !

Avec les sècheresses successives que nous vivons, les chênes sessiles et pédonculés ont un état de santé fragilisé, il nous préoccupe c’est vrai, mais nous restons très optimistes car sur le terrain on constate déjà que le chêne apprend à se défendre et s’adapte aux conditions climatiques nouvelles.

Antoine Kremer d'INRAE, un généticien reconnu qui a reçu l’équivalent du prix Nobel dans la recherche forestière a démontré notamment que les chênes sont capables de répondre aux changements environnementaux. Le chêne sessile fait partie de ceux-là, il possède un patrimoine génétique exceptionnel et je suis convaincue qu’il nous réserve de belles surprises.

 

Quelles sont les principales menaces qui fragilisent cette essence, si chère à tous les promeneurs en forêt ?


M.H : Plusieurs facteurs menacent aujourd’hui le chêne. Le premier, comme je le disais, ce sont les conditions climatiques et plus particulièrement les sécheresses, les températures extrêmes, les effets des orages, des grêles et des tempêtes.

Le second, ce sont les bio-agresseurs : les insectes défoliateurs et les champignons qui prolifèrent à la faveur de températures plus douces et clémentes. Trois insectes menacent tout particulièrement le chêne : le bombyx disparate, l’orcheste et les agriles. Leurs attaquent ciblent principalement les feuilles, les rameaux et les racines de l’arbre accélérant son dépérissement

Les trois insectes qui menacent le chêne :

  • Bombyx disparate : la femelle de cet insecte défoliateur pond sur les troncs. Une fois les chenilles écloses, c’est là que les dommages commencent. Bombyx disparate se repait tout particulièrement des feuilles de chênes. Chaque année, le Département santé des forêts établit des bilans qui attestent que ces attaques varient d’une année sur l’autre mais peuvent parfois causer des défoliations spectaculaires. Le bombyx a toujours été présent en forêt, mais la succession des sécheresses et l’augmentation des températures favorisent son développement. On le trouve aujourd’hui dans toutes les chênaies françaises.

  • Les agriles : ces insectes de type coléoptères colonisent les chênes déjà en souffrance et accélèrent le dépérissement en s’installant sur les tiges affaiblies. Ils sont un facteur aggravant au dépérissement. Les dégâts qu’ils causent sont impressionnants, mais leurs attaques n’ont pas l’ampleur des attaques de scolytes. Quand il y a des scolytes dans une pessière, on sait malheureusement que la parcelle est condamnée. La présence des agriles augmente la présence de bois mort dans les forêts. 

  • L’orcheste du chêne : ce charançon fait des ravages dans les chênaies. Il s’attaque aux rameaux et provoquent un rougissement des feuilles.

Deux champignons fragilisent également les chênaies : l’oïdium et la collybie à pied en fuseau :

  • L’oïdium provoque un blanchissement des feuilles, les dessèche et les fait chuter prématurément. Ce phénomène diminue la période de photosynthèse chez l’arbre. Autrement dit, c’est comme si l’arbre pouvait respirer moins longtemps.

  • La collybie à pied en fuseau affecte tout particulièrement le système racinaire de l’arbre. Le chêne qui peine déjà à aller chercher de l’eau en raison de l’état de sécheresse est alors encore plus entravé.

Concrètement, comment identifiez-vous les dépérissements sur le terrain ?

M.H : Pour l’identification, les forestiers font appel aux correspondants-observateurs du Département santé des forêts. Cette collaboration et ce partage de compétences est indispensable. Il faut pouvoir faire la différence entre ce qui relève du dépérissement ou des dégâts causés par un bioagresseur.

Ensuite, ce qui est primordial dans l’identification et qui complète l’excellent travail des correspondants observateurs, c’est l’utilisation des outils de suivi et notamment du diagnostic DEPERIS qui permet de mesurer l’état de santé d’une forêt.

Concrètement, on se rend sur le terrain pour faire des points d’inventaires sur une parcelle désignée comme dépérissante grâce à des photos aériennes prises par drone. Puis, sur un rayon de 20 mètres par exemple, on regarde tous les arbres que l’on croise, on les note et ensuite on réalise des moyennes. L’attribution de la note se fait selon deux critères et déterminera l’état de santé de l’arbre. On regarde la mortalité des branches sur l’arbre et le manque de ramifications fines.

Le barème va de la note A à F. La lettre A correspond à un arbre en parfaite santé, la lettre F à un arbre complètement mort.

Ces relevés s’effectuent sur plusieurs années donc pour obtenir un diagnostic fin sur l’état sanitaire du chêne, il nous faudra attendre encore quelques années. D’ici là, le chêne, dont on commence à deviner aujourd’hui la résilience, sera peut-être sorti de cette mauvaise passe sanitaire. 

On entend souvent parler du chêne pubescent comme essence d’avenir, est-ce le cas ? Y en a-t ’il d’autres ?


M.H : Dans le contexte climatique actuel, le chêne pubescent est considéré en effet par les forestiers comme une partie de la solution car il est accoutumé à des climats chauds. On le retrouve d’ailleurs beaucoup dans des zones méditerranéennes. Mais cette essence, bien que résistante, est malgré tout en souffrance et pâtit, elle aussi, des canicules estivales successives, ce qui fait qu’il fructifie moins qu’avant. Dans le renouvellement forestier, il ne faut donc pas compter que sur une seule essence. C’est ce que font les forestiers en pratiquant la diversification.

Pour vous donner un exemple, dans les régions Bretagne, Pays de la Loire, Centre Val de Loire, Nouvelle-Aquitaine nous plantons le chêne pubescent aux côtés d’autres essences comme le pin maritime : elles se marient bien ensemble et résistent bien aux états de sécheresse.

Le cormier et le tilleul à petites feuilles sont aussi des essences d’avenir très intéressantes et très résistantes, mais nous avons parfois du mal à nous procurer des plants. Il faut bien avoir conscience que toutes les essences forestières souffrent du réchauffement climatique donc la fourniture en plants est parfois difficile. Toute la filière est aujourd’hui impactée.

Rappelons que les forestiers, depuis toujours, ont repéré et sélectionné les essences les plus fortes et les plus résilientes. C’est grâce à ce travail d’hier que les forestiers d’aujourd’hui, aux côtés des chercheurs, peuvent poursuivre le travail en isolant et en choisissant, pour les générations futures, les arbres qui composeront la forêt de demain. Ce sont des gens passionnés par leurs métiers, ils se forment sans arrêt et modifient leurs pratiques quand cela est nécessaire.