Forêt de Vauclair, mémoire de la Grande Guerre
Chaque 16 avril au départ du village de Craonne, des hommes et des femmes refont le chemin parcouru par leurs ancêtres. Levés à l’aube à l’invitation du Département, ils traversent "sans casque et sans arme" la forêt domaniale de Vauclair. Puis gravissent les pentes raides menant au plateau de Californie, un lieu emblématique de la bataille du Chemin des Dames.
Ce chemin (qui doit son nom aux filles de Louis XV) désigne en réalité un plateau situé entre la vallée de l’Aisne au sud et celle de l’Ailette au nord. Il est le lieu de l’une des plus sanglantes batailles de la Première Guerre mondiale entre le 16 avril et le 24 octobre 1917. Pour le général Nivelle, ce devait être une offensive éclair de reconquête. La météo, les pentes et le système défensif allemand en décidèrent autrement. Si le bilan est toujours imprécis, les combats auraient fait plus de 300 000 morts et blessés dans les deux camps.
En contrebas du plateau de Californie, la forêt domaniale de Vauclair étire ses 1050 hectares dominés par le chêne et le hêtre. Adrien Lebrun, technicien forestier territorial à l'Office national des forêts (ONF), en connaît tous les recoins. "C’est une forêt de feuillus assez mêlée au sol riche mais bouleversé. On y recense 555 trous d’obus par hectare". La plupart des arbres ont été replantés après guerre sur un terrain déboisé et retourné par les explosifs. 10 000 hectares du Chemin des Dames avaient été déclarés "zone rouge" en 1919. Une zone inconstructible et incultivable car trop dangereuse. Sous la pression des élus et propriétaires terriens locaux, la zone rouge a été finalement réduite à la forêt. Sur un terrain mêlant argiles et calcaire, ses abords sont redevenus des plaines à betteraves et à céréales.
Un bouleversant paysage bouleversé
La Maison de la nature et de l’oiseau propose régulièrement des sorties pour découvrir la faune et la flore de la forêt. Les sangliers, chevreuils, couleuvres et de nombreuses espèces de papillons y ont repris leurs marques. La forêt abrite aussi quelques végétaux rares et protégés au niveau régional, comme l’Orobanche à petites fleurs, la Phalangère rameuse aux légères fleurs blanches ou la Raiponce noire avec son épi cylindrique violet foncé.
Mais cette forêt en creux et bosses ne ressemble pas aux autres. Ici des chênes poussent sur des buttes qui sont d’anciennes lignes de défense. Des objets (médailles, gamelles et autres fusils) émergent régulièrement du sol. La gestion de ces vestiges de guerre est toujours d’actualité : Adrien Lebrun transmet chaque année "la localisation de 600 kg d'explosifs" aux démineurs. Le sol instable et truffé de trous complique aussi l’exploitation du bois de la forêt domaniale.
"Même 100 ans après, les traces de la guerre sont partout", résume le forestier. D'ailleurs la forêt, jalonnée de blockhaus et abris divers, continue de livrer des secrets. En 2020, on y a retrouvé l’emplacement du tunnel du Wintenberg, où plus de 200 soldats allemands ont péri emmurés.
Un haut lieu du tourisme de mémoire
Dès 1918, le site est devenu un lieu de recueillement. "Mais le Chemin des Dames est longtemps resté mal connu, bien moins valorisé dans l’histoire officielle que la bataille de Verdun", note Adrien Lebrun. Parce que la reconquête éclair annoncée est devenue boucherie. Et parce que les premières mutineries de soldats français ont commencé au Chemin des Dames. Bien que chantée auparavant sur d’autres champs de bataille, la contestataire Chanson de Craonne a été popularisée ici. "Adieu la vie, adieu l’amour / Adieu toutes les femmes (...) / C’est à Craonne sur le plateau / Qu’on doit laisser sa peau / Car nous sommes tous condamnés / Nous sommes les sacrifiés."
Ancienne carrière souterraine, le mémorial de la Caverne du Dragon raconte les batailles et le quotidien des soldats. Le musée propose des visites guidées thématiques dans la forêt domaniale. Son site internet recense tous les lieux et monuments liés au Chemin des Dames. Pas moins de 28 cimetières militaires y sont identifiés et des raretés comme le monument de la pointe d’Ailles. Il a été érigé par les Allemands au début de la guerre pour rendre hommage à leurs morts... mais aussi à ceux du camp français.
Autour de Craonne, village martyre
À l’est de la forêt domaniale, les photos et panneaux sont bien utiles pour se représenter l’ancien village de Craonne. Il n’en reste que des fondations et quelques caves, tout près d'un arboretum. Comme ses voisines Ailles et Vauclair, le village a été entièrement rasé pendant la guerre et reconstruit plus loin. À quelques pas de là sous les arbres, de longs piquets de bois émergent du paysage cabossé. Il y en a 592, comme autant de soldats italiens morts ici en 1917. Ce lieu, comme le Jardin allemand et le Jardin marocain est l’un des Jardins de la paix aménagés en 2018. Ce projet paysager a été porté par l’association Arts et jardins Hauts-de-France et par la Mission du centenaire.
Le plateau de Californie et son belvédère
Haut-lieu des combats, ce plateau est situé dans la partie orientale du Chemin des Dames. Il a été planté après guerre de pins et d’épicéas, à la différence du reste de la forêt. Une tour observatoire en bois librement accessible permet de prendre de la hauteur. On y découvre un panorama sur le site de l’offensive Nivelle et la Champagne. Une série de panneaux illustrés explique les batailles qui s'y sont livrées.
Autour de l’abbaye de Vauclair
Érigée dans une vaste clairière à l’ouest de la forêt, elle offre une respiration bienfaisante en ces lieux. Pourtant, l’abbaye cistercienne érigée en 1134 n’a pas été épargnée. Vendue comme bien national à la Révolution et largement détruite en 1917 par l’artillerie française, elle dresse fièrement ses vestiges criblés de mitraille. L’association des Amis de Vauclair y organise des évènements culturels et entretient un charmant jardin médicinal ainsi qu’un verger conservatoire. Au mois de juin, l’abbaye classée monument historique accueille plusieurs milliers de visiteurs pour le festival "Vauclair en musique".
L’édifice est le point de départ de plusieurs randonnées. L’une d’entre elles, longue de 2,7 km, permet de traverser la forêt jusqu'au chêne Cuif. Vieux de plus de 300 ans, mort en 2020 mais toujours debout, il porte le nom du conservateur des Eaux et Forêts chargé du reboisement après la Première guerre. Au pied du vieil arbre, de petits massifs fleuris et des plaques mémorielle rendent hommage aux forestiers qui ont souhaité la dispersion de leurs cendres ici même.
À quelques pas de l’abbaye se trouve l’étang des Moines, où des tables de pique-nique attendent les visiteurs. La forêt domaniale compte un second étang, celui de la Bonne fontaine. Sa source alimente les réseaux d’eau qui traversent la forêt.
La forêt de Vauclair en chiffres
Infos pratiques
Public
La forêt est facilement praticable mais certaines parties sont plus escarpées. Le site de la Communauté de communes du Chemin des Dames recense de nombreuses randonnées. Un parcours de 11 km, le circuit Saint-Victor, permet de découvrir les principaux sites intéressants. Le chemin du Facteur longe les lignes allemandes et conduit jusqu’au vieux Craonne.
Pour les cyclistes, la Voie verte de l’Ailette (15 km) relie la base de loisirs de l’Ailette à l’abbaye de Vauclair, traversant pâtures, zones humides et forêt.
Un chemin labellisé Inno rando accessible aux personnes à mobilité réduite permet de découvrir les alentours immédiats de l'abbaye (2 km).
Accès
Depuis Bouconville-Vauclair, la D19 traverse la forêt. Des parkings sont aménagés au niveau de l’abbaye et de l’étang des Moines.
Services
En 2023, près de l’abbaye de Vauclair, un pavillon touristique accueillera les visiteurs pour leur présenter toute l’offre de randonnées et de visites.
À proximité de la forêt se trouve le lac de l’Ailette, un lac artificiel de 160 ha abritant de nombreux oiseaux et doté d’une base nautique départementale et d’un Center Parc. Les visiteurs peuvent aussi faire une pause au lac de Monampteuil et à la base de loisirs départementale Axo’plage, ouverte d’avril à septembre.
Informations sur l’hébergement et la restauration sur le site de l’Office du tourisme du pays de Laon.