Introduction de la thématique - La parole à Marco Ferretti (Président du programme internationnal ICP Forests)

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Résumé

Le suivi des forêts est l'objet d'une initiative internationale lancée en Europe dans les années 1980, en réponse aux craintes d'un dépérissement des arbres causé par les pollutions atmosphériques transfrontalières. Depuis lors, grâce aux efforts conjoints des Etats, de l'Union européenne (UE) et de la Commission économique pour l'Europe des Nations unies (UNECE), un dispositif inédit a été développé à cette fin. Ce dispositif comprend :

  • deux réseaux complémentaires de placettes d'observation permanentes réparties à travers l'Europe (dénommés réseaux de niveau I et de niveau II) ;
  • un ensemble de procédures opérationnelles normalisées (manuel de suivi des forêts) ;
  • une base de données internationale ;
  • et un réseau international de scientifiques et d'experts organisés en groupes thématiques (panels d'experts et comités).

Tous ces éléments sont coordonnés sous l'égide des Nations unies, par le Programme international concerté pour l'évaluation et la surveillance des effets de la pollution atmosphérique sur les forêts (PIC Forêts ou ICP Forests). Celui-ci est certainement le plus vaste programme cohérent de suivi à long terme des forêts dans le monde.

Le PIC Forêts structure les données collectées par 42 pays participants et qui comprennent différents indicateurs d'état (état de santé, croissance, diversité, nutrition) en réponse à différents facteurs externes (climat, pollution de l'air, dépôts atmosphériques organismes pathogènes), à travers les différentes composantes de l'écosystème forestier (sol, végétation, atmosphère). Il est unique par l'intégration qu'il permet des dimensions spatiale, temporelle et écologique. Il a montré son apport essentiel à la détection et à la compréhension de changements dans le fonctionnement des forêts européennes.

Bien que ses objectifs initiaux soient liés à la thématique des pollutions atmosphériques, son potentiel s'étend bien au-delà. Les données acquises occupent une place centrale dans bien des études qui visent à comprendre la sensibilité des forêts européennes vis-à-vis des principaux enjeux environnementaux et de gestion forestière. Ces études ne seraient guère envisageables uniquement à partir de dispositifs coordonnés à des échelles nationales.

L'importance de séries de données longues et pleinement documentées sur les ressources forestières est de plus en plus reconnue dans le monde scientifique, mais elle ne semble pas toujours aussi évidente aux yeux des responsables politiques et des gestionnaires. Pourtant seules des données recueillies sur le long terme peuvent aider à comprendre comment nos forêts évoluent et quels en sont les déterminants.

Au regard de l'importance écologique, sociétale et économique des forêts européennes, et au vu des résultats acquis jusqu'à maintenant et du potentiel de développement à venir en Europe et dans le monde, le dispositif de suivi à long terme coordonnée par le PIC Forêts constitue un patrimoine inestimable pour la connaissance des écosystèmes forestiers, et qui mérite d'être poursuivi.

Contrôle et d'amélioration de la qualité des mesures - La parole à Nils König (NW-FVA : Institut de recherche forestière du nord-ouest allemand)

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Résumé

Pour être en mesure de détecter des changements dans le fonctionnement des forêts à l'échelle européenne, leur suivi doit être réalisé de manière comparable d'un pays à l'autre et au cours du temps. Comme le suivi des dépôts atmosphériques, de la nutrition des arbres ou encore des propriétés chimiques des sols repose sur l'analyse de prélèvements, la qualité des mesures en laboratoire est un aspect essentiel à contrôler et à améliorer continuellement.

Plus de 100 laboratoires différents réalisent des analyses de prélèvements d'eau, de sol et de feuilles dans le cadre du programme international de suivi des forêts ICP Forests. Pour garantir la comparabilité de leurs résultats, tous les laboratoires participants doivent suivre un programme d'assurance qualité développé en commun. Celui-ci repose sur trois piliers :

  • l'utilisation de méthodes harmonisées et clairement documentées ;
  • la mise en œuvre d'un contrôle de qualité interne à chaque laboratoire ;
  • la participation à des contrôles de qualité externes, coordonnés par ICP Forests.

Les données collectées ne peuvent être comparables que si les laboratoires mettent en œuvre des protocoles similaires à toutes les étapes du traitement des échantillons : extraction, digestion, et analyse de leur contenu chimique. Les pratiques et les matériels évoluant au cours du temps, chaque nouvelle méthode doit être testée, pour vérifier qu'elle ne conduise pas à des valeurs dissemblables, avant de pouvoir être autorisée pour le traitement d'échantillons du programme ICP Forests.

Concernant le contrôle de qualité interne, des procédures ont été développées dans le cadre d'un groupe de travail dédié (QA/QC) et de réunions régulières avec les directeurs des laboratoires participants. Elles ont été documentées dans le manuel du programme ICP Forests. Elles permettent à chaque laboratoire de contrôler ses résultats d'analyse de différentes manières.

D'une part, la vraisemblance de chaque paramètre d'analyse est vérifiée au regard d'une gamme de variation plausible, définie à partir des données précédemment acquises à l'échelle européenne. Si une valeur sort de cette gamme, elle doit être corrigée ou confirmée par une nouvelle mesure.

D'autres tests permettent de vérifier la cohérence entre les différents paramètres mesurés sur un même échantillon. Par exemple, les charges électriques positives et négatives des ions mesurés dans un échantillon d'eau sont normalement équivalentes. Si ce n'est pas le cas, cela suggère une erreur dans un ou plusieurs des paramètres analysés.

Pour ce qui est du contrôle de qualité externe, il repose essentiellement sur l'organisation d'essais inter-laboratoires. Ces essais sont menés régulièrement en envoyant simultanément à tous les laboratoires 5 échantillons naturels prélevés dans des contextes contrastés. La comparaison des résultats rapportés par les différents laboratoires permet de repérer ceux qui s'écartent d'une fourchette de tolérance autour de la moyenne. Le pourcentage de ces valeurs en dehors des seuils de tolérance constitue un indicateur de la comparabilité des analyses entre laboratoires.

La figure montre l'évolution depuis 15 ans de cet indicateur pour plusieurs paramètres analysés lors des essais inter-laboratoires menés sur des échantillons d'eau. Elle illustre l'amélioration obtenue progressivement dans la qualité des laboratoires, et en même temps les limites qu'elle rencontre du fait de différences résiduelles dans les méthodes employées.


Pourcentage de résultats en dehors des seuils de tolérance au cours des essais interlaboratoires organisés par le programme ICP Forests pour les analyses d’eau

Pourcentage de résultats en dehors des seuils de tolerance au cours des essais interlaboratoires organisés par le programme ICP Forests pour les analyses d’eau. Paramètres d’analyse illustrés : conductivité électrique (Cond), pH, alcalinité (Alk), azote total dissous (TDN), et carbone organique dissous (DOC)
Paramètres d’analyse illustrés : conductivité électrique (Cond), pH, alcalinité (Alk), azote total dissous (TDN), et carbone organique dissous (DOC) - ©Nils König / NW-FVA

Les résultats des essais inter-laboratoires sont discutés lors des réunions du groupe de travail QA/QC et de celles organisées avec les directeurs des laboratoires.

Ces réunions sont l'occasion d'identifier les sources d'erreur possibles pour les paramètres montrant des résultats en dehors des seuils de tolérance. De nouvelles méthodes y sont aussi discutées, en s'appuyant sur les résultats de comparaisons expérimentales avec les méthodes de référence. La mutualisation de l'expertise de tant de laboratoires à travers l'Europe est un apport remarquable du programme ICP Forests qui profite à la qualité de chacun d'entre eux.

La nutrition en phosphore des arbres se dégrade - La parole à Mathieu Jonard (Université catholique de Louvain)

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Résumé

En Europe, la productivité des forêts a augmenté durant les dernières décennies suite à l'effet combiné de la concentration croissante en CO2 dans l'atmosphère et des dépôts atmosphériques d'azote. Les dépôts d'azote étant restés élevés dans différentes régions d'Europe et la concentration en CO2 dans l'atmosphère continuant de s'accroître, cette productivité pourrait encore augmenter sauf si elle devient limitée par la disponibilité d'autres ressources, notamment les nutriments.

Les objectifs de cette étude étaient de décrire le statut nutritionnel foliaire des principales essences forestières en Europe (hêtre commun, chênes sessile et pédonculé, épicéa commun, pin sylvestre, sapin pectiné), d'identifier les nutriments limitants pour la croissance pour chacune de ces essences et de détecter les évolutions temporelles de la nutrition foliaire.

Elle s'est basée sur les données d'analyses foliaires collectées entre 1992 et 2009 dans les placettes de suivi des écosystèmes forestiers de niveau II du programme international concerté sur les forêts (PIC Forêts). Il s'agit d'un jeu de données unique qui couvre l'entièreté de l'Europe sur deux décennies et qui a été produit selon des méthodes harmonisées entre les différents pays.

Le niveau de nutrition en azote est généralement bon (suboptimal à optimal) pour les feuillus, mais sous le seuil de déficit pour environ la moitié des placettes résineuses. En revanche, une déficience en phosphore est constatée pour une part notable des placettes de chaque essence (de 22 à 74%). Toutes les essences sont aussi affectées par des déficiences en cations basiques (calcium, magnésium, potassium) mais dans une moindre proportion de leurs placettes (de 5 à 40%).

L'analyse des tendances a permis de mettre en évidence une augmentation significative de la masse des feuilles ou des aiguilles chez le hêtre et l'épicéa commun. Au niveau des teneurs foliaires, la grande majorité des évolutions détectées sont des tendances à la baisse (20 sur 22).

Parmi les évolutions les plus préoccupantes, on note une dégradation nette de la nutrition en phosphore pour la plupart des essences, ce qui confirme le signal mis en évidence précédemment à l'échelle des placettes de France, de Wallonie et du Luxembourg (Jonard et al., 2009). Les teneurs foliaires en azote, soufre et potassium diminuent également significativement pour certaines essences. En ce qui concerne le calcium et le magnésium, des tendances à la baisse sont observées pour les essences feuillues et à la hausse pour les essences résineuses (cf. tableau).

 

Evolution temporelle des teneurs foliaires des principales essences forestières européennes

ableau : évolution temporelle des teneurs foliaires des principales essences forestières européennes. Tendance à la hausse ‘+’ ou à la baisse ‘-‘, significativité : P < 0.1: (+) ou (-), P < 0.05: + ou -, P < 0.01: ++ ou --, P < 0.001: +++ ou ---.
Tendance à la hausse ‘+’ ou à la baisse ‘-‘, significativité : P < 0.1: (+) ou (-), P < 0.05: + ou -, P < 0.01: ++ ou --, P < 0.001: +++ ou ---. - ©Mathieu Jonard / Université catholique de Louvain

Plusieurs hypothèses sont avancées pour expliquer les tendances observées. La diminution des teneurs foliaires pourrait provenir d'un effet de dilution suite à l'accroissement de la masse foliaire.

En effet, l'augmentation de la productivité des forêts européennes (effet fertilisant de la concentration croissante en CO2 atmosphérique et des dépôts d'azote) s'accompagne d'une demande en nutriments plus forte que le sol n'est pas nécessairement en mesure de satisfaire. La diminution des dépôts atmosphériques en soufre et dans une moindre mesure en azote contribue certainement partiellement à la baisse des teneurs foliaires en ces éléments. Etant donné que sulfate et phosphate sont adsorbés sur le même type d'échangeurs dans le sol, la baisse de la concentration en sulfate dans la solution du sol (suite à la réduction des dépôts soufrés) pourrait induire une rétention plus forte des phosphates sur la phase solide du sol et une diminution de leur biodisponibilité.

Par ailleurs, un effet de l'âge des peuplements n'est pas exclu mais n'est pas en mesure d'expliquer des diminutions d'une telle magnitude.

Cette étude montre que la nutrition minérale des arbres tend à se dégrader en Europe et que la réponse des écosystèmes forestiers aux changements globaux risque d'être de plus en plus contrainte par la disponibilité en nutriments. Il est dès lors primordial de prendre en compte les contraintes nutritionnelles dans les modèles globaux de bilan de carbone afin de ne pas surestimer la capacité des forêts à séquestrer le carbone.

Pollution à l'ozone : quelle contrainte pour les forêts ? - La parole à Marcus Schaub (WSL)

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Résumé

Dans la basse atmosphère (appelée troposphère), l'ozone est un polluant connu pour causer des dommages aux plantes (Novak et al., 2003). Il ne laisse sur les tissus végétaux aucun résidu qui puisse être détecté par une analyse chimique.

De ce fait, les dommages causés ne peuvent être caractérisés sur le terrain que par leur identification oculaire sur les feuilles ou les aiguilles des végétaux.

Bien que l'ozone puisse causer d'autres formes de dommages (ex : changements physiologiques, perte de croissance...), le relevé de ces symptômes typiques sur le feuillage a montré son intérêt pour évaluer l'impact du niveau de concentration en ozone dans l'air sur des espèces sensibles (Gottardini et al., 2017a).

C'est pourquoi il est employé en Europe comme un indicateur pour estimer les risques potentiels pour les écosystèmes, et s'avère particulièrement utile dans le cadre du réseau international de suivi des forêts ICP Forests (Schaub et al., 2010; Gottardini et al. 2017b).

Le principal objectif de la notation de symptômes visibles de dommages dus à l'ozone est de contribuer à l'évaluation des risques associés pour les écosystèmes forestiers.

Nous présenterons ici les premiers résultats d'ensemble sur les variations de présence de ces symptômes au cours du temps et à travers l'Europe. Nous discuterons aussi des impacts potentiels de l'ozone sur les écosystèmes forestiers, et notamment d'une approche possible pour quantifier ses effets sur la croissance des peuplements. 


Carte des concentrations en ozone dans l’air et des symptômes observés sur les arbres forestiers

Figure : Carte des concentrations en ozone dans l’air et des symptômes observés sur les arbres forestiers. La couleur du fond correspond à la concentration moyenne en ozone (en µg.m-3), pour la période d’avril à septembre, extrapolée spatialement à partir des mesures réalisées à l’aide de capteurs passifs sur 232 sites répartis dans 20 pays. Les points représentent les 181 sites, répartis dans 18 pays, où les symptômes dus à l’ozone ont été observés : leur taille représente le nombre d’années d’observation (1 année, 2 à 6 années, ou plus de 6 années) et leur couleur la fréquence d’apparition des symptômes (aucune année, entre 1 et 50% des années, plus de 50% des années d’observation révèlent des symptômes visibles).
La couleur du fond correspond à la concentration moyenne en ozone (en µg.m-3), pour la période d’avril à septembre, extrapolée spatialement à partir des mesures réalisées à l’aide de capteurs passifs sur 232 sites répartis dans 20 pays. Les points représentent les 181 sites, répartis dans 18 pays, où les symptômes dus à l’ozone ont été observés : leur taille représente le nombre d’années d’observation (1 année, 2 à 6 années, ou plus de 6 années) et leur couleur la fréquence d’apparition des symptômes (aucune année, entre 1 et 50% des années, plus de 50% des années d’observation révèlent des symptômes visibles). - ©Marcus Schaub / WSL