Introduction de la thématique - La parole à Hervé Jactel (INRA)

©ONF

Flore : quels enseignements de 20 ans de suivi ? - La parole à Jean-Luc Dupouey (INRA)

©ONF

Résumé

Au cours du XXe siècle, la composition floristique s'est imposée comme un élément déterminant pour définir et identifier les types de stations forestières. Le suivi de la flore constitue désormais aussi l'un des piliers de la surveillance des dynamiques de la biodiversité.

Le réseau RENECOFOR a organisé la collecte des informations sur la flore de ses 102 placettes dès 1995, peu après sa mise en place. Huit relevés de 100 m2 sont effectués tous les cinq ans (sauf en 2010), quatre dans un enclos qui protège des ongulés, et quatre à l'extérieur. Deux relevés sont effectués au sein de chaque année d'observation. Dix placettes sont aussi suivies annuellement. C'est le seul réseau de suivi de la flore en France qui combine, sur un aussi grand nombre de sites :

  • le maintien d'un protocole constant depuis le début des observations ;
  • une matérialisation de l'emplacement, maintenu fixe, des placettes ;
  • et l'acquisition en parallèle de données sur la chimie des sols.

Avant chaque campagne de relevés, les botanistes se retrouvent pour des journées de formation, dites d'inter-calibration, afin de préciser et tester certains points sensibles du protocole. Il s'agit surtout d'homogénéiser l'application du protocole, déployé sur une grande diversité de sites et par près de 80 observateurs depuis le début du suivi du réseau.

Ainsi, le premier apport du réseau a été de faire évoluer les protocoles de relevé floristique habituellement employés dans les études de végétation (études phytosociologiques, catalogues de stations...) vers une plus grande rigueur. Les plantes situées en limite de relevé, la délimitation des strates verticales, la définition précise et la mise en œuvre rigoureuse des coefficients d'abondance-dominance, le mode de relevé des espèces liées à la présence de micro-habitats (bois mort, tassements localisés du sol...), le temps de relevé... sont autant de points de protocole qui, non contrôlés, vont augmenter la variabilité des observations.

Le second apport est, là encore, méthodologique, avec un constat lourd de conséquences : l'exhaustivité d'un relevé de flore est un leurre, même sur des surfaces de 100 m2 pourtant considérées comme petites pour les milieux forestiers. Le niveau d'exhaustivité des observations est très variable selon les opérateurs botanistes et deux passages par an sont absolument nécessaires, que ce soit pour des raisons de saisonnalité (surtout pour les plantes vernales) ou simplement pour repérer des espèces non recensées lors du premier passage.

Le résultat méthodologique le plus important est que les premières années de passage, les observateurs améliorent progressivement leur niveau d'exhaustivité ou, dit autrement, il faut plusieurs années pour réaliser un relevé acceptable pour un suivi.

D'un point de vue écologique, le principal enseignement de RENECOFOR a été la caractérisation à grande échelle du rôle des ongulés dans la flore forestière actuelle. Dans les enclos, le développement rapide des arbustes et d'espèces concurrentes des herbacées (ex. la ronce) qui n'étaient plus abroutis, a engendré une baisse très significative de la richesse floristique (cf. Figure). D'une certaine façon, les ongulés maintiennent une richesse floristique plus élevée en forêt, principalement en augmentant le niveau de lumière au sol via la consommation d'arbustes.

Mais on a aussi observé que les espèces qui profitent de cette ouverture du milieu par les ongulés sont principalement des espèces héliophiles (qui aiment la lumière), nitrophiles (qui aiment l'azote), à tendance rudérale et ayant un caractère moins forestier que les espèces favorisées par la mise en enclos. Ainsi, s'il y a augmentation de la richesse en espèces herbacées par la présence des ongulés, elle se fait en faveur d'espèces non typiquement forestières.

La richesse en espèces herbacées chute à l’intérieur des enclos, tandis que celle des arbustes y progresse.
La richesse en espèces herbacées chute à l’intérieur des enclos, tandis que celle des arbustes y progresse. - ©Jean-Luc Dupouey / INRA

Y a-t-il une évolution tendancielle de la flore entre 1995 et 2010 ? Les variations observées pour l'instant dans le réseau sont faibles, mais significatives.

Globalement, le suivi de flore du réseau confirme, méthodologie robuste à l'appui, les observations d'autres réseaux à des périodes antérieures : une augmentation du caractère nitrophile et neutrophile de la végétation, dans les placettes non touchées par la tempête de 1999. Cela suggère un effet eutrophisant des dépôts atmosphériques azotés, qui sont à des niveaux encore relativement élevés en France. Mais ce résultat doit être tempéré par le fait que ces variations de la flore ne sont pas corrélées avec les tendances observées dans la chimie des sols. A l'échelle de l'ensemble du réseau, les tendances dans la chimie des sols sont d'ailleurs contradictoires : baisse du pH et augmentation du C/N des sols, suggérant plutôt une baisse de la disponibilité en nutriments, et en particulier en azote. Enfin, les analyses n'ont pas mis en évidence de tendance liée aux variations climatiques.

Les enseignements du suivi de la flore dans le réseau RENECOFOR ont été multiples. Du point de vue méthodologique, ils confirment que les protocoles requis pour un suivi temporel rigoureux ne peuvent pas être directement calqués sur ceux qui sont utilisés pour la caractérisation de la variabilité spatiale de la végétation. Ceci pose la question d'une révision des protocoles de suivi floristique au sein du réseau. Ils interrogent aussi le lien fonctionnel entre changements des sols et évolution des communautés végétales. Ils confirment aussi que le suivi temporel des dynamiques de biodiversité est une question de très long terme, en particulier parce que la flore forestière varie peu à court terme.

Concernant les changements environnementaux, les résultats obtenus remettent en partie en cause les variations rapides de flore observées à partir de ré-échantillonnages de placettes qui n'avaient pas été conçues dans ce but, ou à partir de bases de données mélangeant des échantillons très hétérogènes.

Champignons : comment varient leurs communautés d'espèces ? - La parole à Benoit Richard (Université de Rouen)

©ONF

Résumé

Les champignons constituent un groupe important de la biodiversité des forêts. Ils comprennent un grand nombre d'espèces et représentent une part notable de la biomasse vivante. Leurs activités contribuent au bon fonctionnement de l'ensemble de l'écosystème : décomposition des matières organiques et recyclage des éléments nutritifs qu'elles contiennent, structuration du sol, vastes réseaux de filaments mycéliens facilitant la mobilisation des minéraux au profit des arbres (mycorhizes), etc.

Et pourtant la diversité des champignons (taxonomique, phénotypique ou écologique) reste méconnue et, en comparaison d'autres organismes (comme la flore), on sait encore peu de choses sur l'écologie de leurs communautés (structuration, organisation, et les facteurs déterminants).

En 1996, l'ONF a initié un partenariat avec l'Observatoire mycologique de France et la Société mycologique de France, afin de compléter le suivi des placettes du réseau RENECOFOR par un inventaire des espèces de champignons.

Un premier essai a été mené sur douze placettes, de 1996 à 1998. Puis l'expérience a été reconduite de 2003 à 2007 sur un plus grand nombre de placettes. Au total, environ 60 placettes ont fait l'objet de relevés mycologiques basés sur les fructifications visibles à la surface du sol (sporophores). L'apparition de ces fructifications étant souvent éphémère, les relevés devaient être répétés 12 fois (3 années consécutives x 4 répétitions minimum au sein de chaque année) pour refléter le plus exhaustivement possible la diversité des espèces présentes sur chaque placette. Puis un long traitement des données a été nécessaire, pour harmoniser notamment les noms des espèces suivant un référentiel unique.

L'objectif de cette étude était d'explorer les variations des communautés de champignons inventoriées, en mettant en œuvre différents outils d'analyse. Elle a été focalisée sur le groupe d'espèces des Basidiomycètes, le mieux connu par les mycologues impliqués et de loin le plus représenté (84% des 1 604 espèces identifiées). Pour les besoins des analyses, les placettes qui n'ont pas fait l'objet de suffisamment de relevés (au moins 2 années consécutives et 3 répétitions par année) ont été écartées. Les 51 placettes sélectionnées in fine couvrent néanmoins une large gamme de conditions environnementales (sols, climats, altitudes et dépôts atmosphériques contrastés) et de peuplements (Chêne pédonculé, Chêne sessile, Hêtre, Douglas, Epicéa, Pin maritime, Pin sylvestre, et Sapin pectiné).

En pratique, le nombre d'espèces (richesse spécifique) ne semble pas permettre de juger de l'évolution de la diversité des communautés, car l'exhaustivité n'est jamais atteinte dans les inventaires malgré leur répétition sur chacune des placettes. Même pour celles qui ont été inventoriées le plus fréquemment (jusqu'à plus de 30 fois en 3 ans), où chaque nouveau relevé a permis d'identifier au moins une espèce nouvelle par rapport aux relevés précédents.

En revanche, la composition en espèces des communautés de champignons ne varie pas de manière aléatoire, et observe un patron d'organisation significatif. Elle est influencée, en premier lieu, par l'essence principale du peuplement, ce qui contraste remarquablement avec les patrons observés chez d'autres groupes d'organismes, comme la flore, où les facteurs biogéographiques (climat) jouent un rôle prépondérant. Pour les champignons, ces facteurs biogéographiques (altitude, latitude, précipitations) ont aussi une influence, mais secondaire et d'importance similaire à celle des facteurs « plus locaux » du sol (pH, rapport carbone/azote, taux de saturation en bases).

En outre, ce patron de variation de la composition des communautés de champignons a pu être relié au caractère plus ou moins généraliste ou spécialiste des espèces vis-à-vis de leur habitat et niche écologique. Une espèce est d'autant plus généraliste qu'elle peut être observée aux côtés de nombreuses autres espèces de nature variable.

A l'inverse, elle est plutôt spécialiste si elle est observée en association avec peu d'autres espèces, qui tendent à être toujours les mêmes d'un relevé à l'autre. Les inventaires réalisés sur le réseau RENECOFOR révèlent ainsi que les champignons ectomycorhiziens (en symbiose avec les racines des arbres) sont majoritairement plus généralistes que les champignons saprophytes (décomposeurs des matières organiques), qui eux ont tendance à être plus spécialistes.

De plus, les communautés de champignons sous peuplements résineux sont principalement composées d'espèces à caractère généraliste, tandis que celles sous feuillus comprennent une proportion plus grande d'espèces spécialistes. Dans ce schéma de variation entre les placettes sous résineux et sous feuillus, celles sous Douglas occupent une place notablement singulière, avec des cortèges de composition intermédiaire tout en étant les plus pauvres en nombre d'espèces (sans doute du fait du caractère exotique du Douglas en Europe).

En conclusion, malgré les difficultés méthodologiques rencontrées, cette initiative pionnière d'inventaire des champignons a produit des résultats robustes et originaux permettant de documenter les patrons de variation de ces communautés d'espèces à travers une large gamme de conditions écologiques. Elle fournit également des éléments de réflexion pour la gestion sylvicole et le maintien de la biodiversité des sols, en mettant en évidence la prépondérance de facteurs locaux (choix d'essence, propriétés physico-chimiques du sol) sur des communautés d'organismes aussi importantes que les champignons pour le fonctionnement des écosystèmes forestiers.

Pour en savoir plus

Effets des variations des glandées sur la biodiversité - La parole à Samuel Venner (Université Lyon 1)

©ONF

Résumé

La production de fruits chez les chênes (ou glandée) varie considérablement d'une année à l'autre. Ce régime de fructification, appelé "masting", est caractérisé par des fructifications massives certaines années, suivies d'années de faibles fructifications à l'échelle d'une population.

Il résulterait d'une stratégie de reproduction des arbres visant à contrôler les effectifs de consommateurs de glands de manière à ce qu'une grande proportion de fruits ne soit pas consommée lors des années de forte fructification et assurant ainsi un fort potentiel de régénération. Le masting devrait alors fortement affecter la démographie et l'évolution des espèces animales consommant cette ressource (insectes, oiseaux, rongeurs, ongulés) et, en cascade, la dynamique de l'ensemble de la communauté animale forestière (ex : prédateurs/parasites des consommateurs de glands).

Il peut également avoir des répercussions socio-économiques à plus ou moins long terme en conditionnant le succès de régénération forestière, l'organisation des peuplements forestiers (abondance relative des différentes espèces) et les filières économiques associées ou encore la dynamique de certaines maladies (ex : maladie de Lyme dépendant de la démographie de tiques, elle-même dépendant de celles des rongeurs).

Les mécanismes qui sous-tendent les fortes fluctuations des glandées restent cependant mal compris. Cette méconnaissance rend difficile :

  • l'anticipation des glandées à court terme et en conséquence l'ajustement des politiques de gestion (ex : optimisation de la récolte de graines, de la régénération forestière) ;
  • et la prédiction des effets du changement climatique sur le potentiel de reproduction des chênes (variations d'intensité ou de fréquence des fructifications massives), et de leurs conséquences tant écologiques que socio-économiques dans les écosystèmes concernés.

Le programme "PotenChêne", financé par les ministères en charge de l'Environnement et de l'Agriculture (GIP ECOFOR 2014-2018), vise à mieux comprendre les mécanismes du masting du chêne, son impact sur la démographie des consommateurs de glands (ongulés et insectes) et sur la régénération forestière. Ce programme regroupe 8 organismes partenaires (cf. Figure).


Le consortium du programme « PotenChêne » est composé de 9 partenaires, dont 5 organismes de recherche

Le consortium du programme « PotenChêne » est composé de 9 partenaires, dont 5 organismes de recherche – LBBE, BioGeCo, CNR, IRSTEA (Institut national de Recherche en Sciences et Technologies pour l'Environnement et l'Agriculture), ISPRA (Institute for Environmental Protection and Research, Roma, Italy) – et de 4 organismes publics de la société civile – ONF, ONCFS, FNC, RNSA
LBBE, BioGeCo, CNR, IRSTEA (Institut national de Recherche en Sciences et Technologies pour l'Environnement et l'Agriculture), ISPRA (Institute for Environmental Protection and Research, Roma, Italy) – et de 4 organismes publics de la société civile – ONF, ONCFS, FNC, RNSA - ©Samuel Venner / Université Lyon 1

Les chutes de litière collectées de 1994 à 2007 à l'échelle de chaque site du réseau RENECOFOR offrent un jeu de données exceptionnel sur la scène internationale pour analyser les variations des fructifications.

De plus, le programme a permis d'équiper une quinzaine de sites en France (dont douze sites du réseau RENECOFOR) depuis 2012 pour suivre la production de fleurs et de glands de chênes sessiles, à l'échelle d'arbres individuels, sur un vaste gradient climatique. La diversité et l'abondance des communautés d'insectes (5 espèces) qui parasitent les glands y sont quantifiées. Plusieurs sites de recherche inclus dans le programme font aussi l'objet d'un suivi des populations de sangliers.

Les résultats révèlent que la production fruitière des chênes s'est accrue, en moyenne, au cours des dernières années en France, parallèlement à l'augmentation de la température printanière. Un modèle mathématique a été construit pour identifier les processus-clés du masting, en s'appuyant sur les données collectées arbre par arbre et sur les mesures de pollen réalisées par le réseau national de surveillance aérobiologique (RNSA).

Les simulations réalisées à partir de ce modèle suggèrent que la dynamique des glandées dépend fortement de la part de ressources que les arbres allouent à la production de pollen d'une année à l'autre, ainsi que des conditions météorologiques printanières qui affectent la diffusion de ce pollen. En aval, l'intensité des glandées affecte le succès reproducteur des laies et la démographie des populations de sangliers.

Elle affecte aussi la dynamique des communautés d'insectes parasites, parasitisme qui empêche dans la plupart des cas la germination des fruits. Le masting du chêne semble avoir favorisé une forte diversification des stratégies de développement des espèces d'insectes en compétition pour l'exploitation des glands (ex : durée de diapause très variable entre espèces et pouvant s'étaler de 1 à 4 années). Ces résultats illustrent la complexité du problème auquel sont confrontés les chênes pour lutter contre la grande diversité de consommateurs de glands et maintenir un haut potentiel de recrutement et de régénération.

A l'avenir, le changement climatique, et plus précisément le devenir des conditions météorologiques printanières, pourrait affecter la dynamique de la diffusion pollinique, la dynamique des fructifications (travaux en cours), celle des communautés de consommateurs et en conséquence le potentiel de régénération des chênaies, les dégâts occasionnés par les sangliers et potentiellement la dynamique de certaines maladies (ex : maladie de Lyme).

En complément du réseau de suivi mis en place par le programme, nous avons mis au point une méthode ‘légère' de suivi des glandées, facilement applicable par les gestionnaires forestiers, et qui sera déployée dès 2017 sur un ensemble plus large de sites forestiers. Ces suivis, combinés au développement d'un outil de prévision des glandées, pourraient permettre de mieux gérer à la fois la régénération des chênaies et le contrôle des populations de sangliers.