Introduction de la thématique - La parole à Laurent Saint-André (INRA)

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Evolution des pollutions acidifiantes - La parole à Aude Bourin (IMT Lille Douai)

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Résumé

L'émission de polluants dans l'atmosphère est l'une des principales voies par lesquelles les activités humaines modifient les conditions environnementales à l'échelle du globe. La crise des pluies acides notamment, qui a fait craindre un dépérissement généralisé des forêts dans les années 1980, a mis en lumière les effets à longue distance de polluants dus à l'utilisation de combustibles fossiles et aux activités agricoles. Elle a motivé la prise d'engagements politiques internationaux pour réduire réglementairement les émissions atmosphériques incriminées (oxydes de soufre, oxydes d'azote, ammoniac) et suivre leurs impacts sur l'environnement.

En France, plusieurs dispositifs ont été mis en place pour surveiller les dépôts atmosphériques de manière complémentaire. Les réseaux MERA (entre 8 et 12 sites) et CATAENAT (27 sites, sous-ensemble du réseau RENECOFOR) mesurent tous deux la pollution de fond, à l'écart des principales sources d'émission, pour les besoins de deux programmes européens (EMEP et ICP Forests). Leurs méthodologies de prélèvement répondent à des objectifs différents et ne produisent pas de résultats comparables en valeur absolue. Cependant les tendances relatives, qu'ils permettent de détecter de manière indépendante, se complètent avec intérêt pour évaluer l'efficacité des engagements de réduction des pollutions atmosphériques.

Sur la période 1993-2015, les deux réseaux ont enregistré une baisse significative de l'acidité directe des retombées atmosphériques, reflétée par l'augmentation du pH (cf. Figure). Le pH a augmenté de +0,53 % an-1 sur MERA et de +0,34 % an-1 sur CATAENAT. Cette évolution est principalement liée à la chute des concentrations en soufre sous forme de sulfates (-3,12 % an-1 et -2,74 % an-1 respectivement sur MERA et CATAENAT) et à la baisse plus modérée des concentrations en azote sous forme de nitrates (-1,53 % an-1 et -1,21 % an-1 respectivement sur MERA et CATAENAT). La diminution des concentrations en azote sous forme d'ammonium (-1,95 % an-1 et -1,86 % an-1 respectivement sur MERA et CATAENAT) a aussi concouru, de manière indirecte, à réduire la contrainte acidifiante des dépôts atmosphériques. En revanche, la baisse concomitante des concentrations en calcium représente une réduction des apports en nutriments non négligeable pour les sols les plus pauvres. Toutes ces tendances temporelles constatées en milieu ouvert se confirment également dans les dépôts collectés sous le couvert des arbres sur 14 sites du réseau CATAENAT.


Evolutions temporelles

Evolutions temporelles du pH et des concentrations en soufre (sulfates), en azote (nitrates, ammonium) et en calcium dans les retombées atmosphériques, en moyenne annuelle et à l’échelle nationale, dans les sites MERA (en rouge, pluie uniquement) et CATAENAT (en bleu, dépôt total hors couvert forestier).
Evolutions temporelles du pH et des concentrations en soufre (sulfates), en azote (nitrates, ammonium) et en calcium dans les retombées atmosphériques, en moyenne annuelle et à l’échelle nationale, dans les sites MERA (en rouge, pluie uniquement) et CATAENAT (en bleu, dépôt total hors couvert forestier). - ©Aude Bourin / IMT Lille Douai

Les règlementations en matière de diminution des émissions polluantes d'oxydes de soufre se sont pleinement répercutées dans les retombées atmosphériques de sulfates.

Le constat est quelque peu différent pour les retombées d'azote, dont les tendances contrastent avec celles rapportées par les inventaires d'émissions. Ainsi la forte baisse estimée dans les émissions d'oxydes d'azote ne se reflète pas entièrement dans les retombées atmosphériques de nitrates.

A l'inverse les émissions d'ammoniac sont restées stables, alors qu'une baisse est détectée dans les retombées d'ammonium mesurées.

Par ailleurs, les modélisations spatiales basées sur les inventaires d'émissions ne reflètent pas les variations géographiques observées dans les retombées atmosphériques d'azote sous forme d'ammonium. Ces divergences montrent que la recherche doit se poursuivre pour mieux comprendre et simuler les mécanismes de transport et de transformation des polluants dans l'atmosphère. Dans ce contexte, la surveillance continue des retombées atmosphériques reste une approche nécessaire pour évaluer les impacts réels des émissions polluantes sur l'environnement et asseoir la stratégie de contrôle de ces émissions.

Vers un rétablissement de la fertilité chimique des sols forestiers ? - La parole à Quentin Ponette (Université catholique de Louvain)

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Résumé

Le sol constitue le réservoir dans lequel les arbres et la végétation puisent les éléments minéraux dont ils ont besoin. L'évolution de son contenu apparaît donc comme un indicateur fondamental vis-à-vis des risques de déséquilibres nutritifs que peuvent provoquer ou aggraver les pollutions atmosphériques et les exportations de nutriments associées à l'exploitation forestière.

Au début des années 1980, la crise des pluies acides a attiré l'attention sur l'impact des retombées de polluants atmosphériques sur les forêts, à des centaines de kilomètres de leurs sources d'émission. En effet, l'effet acidifiant des dépôts soufrés et azotés a pu favoriser un appauvrissement des sols en éléments échangeables, voire l'apparition de carences dans les contextes de sols les plus pauvres et acides. Les symptômes de jaunissement du feuillage des arbres alors largement observés dans les Vosges reflétaient notamment une carence en magnésium (Landmann et Bonneau, 1995). De plus, par son effet fertilisant, l'apport d'azote atmosphérique a pu accentuer les risques de carence en déséquilibrant la nutrition minérale des arbres et en augmentant leurs besoins en autres éléments nutritifs.

Dans les années 1990, des premières études se sont intéressées à mesurer l'évolution des propriétés des sols forestiers, en ré-échantillonnant des sites du Nord-Est de la France qui avaient fait l'objet de prélèvements antérieurs, jusqu'à 20 ans auparavant (Dupouey et al., 1998). Malgré la réduction déjà sensible des pollutions soufrées et azotées, la synthèse de leurs résultats a montré une tendance à l'appauvrissement en éléments échangeables (particulièrement en magnésium et calcium), à leur acidification (baisse du taux de saturation en bases échangeables) et à leur enrichissement en azote (baisse du rapport C/N).

Depuis, les dépôts atmosphériques de soufre et d'azote sur les forêts ont encore diminué, et la question se pose de savoir si la fertilité chimique des sols forestiers a pu se rétablir.

Mis en place en 1992, le réseau RENECOFOR fournit pour la première fois des mesures de l'évolution des propriétés physico-chimiques des sols à l'échelle nationale. Couvrant une large gamme de contextes écologiques en France métropolitaine, ses 102 sites ont fait l'objet de deux campagnes d'analyse de sol, entre 1993 et 1995 puis entre 2007 et 2012, avec de nombreuses précautions méthodologiques pour s'assurer de la comparabilité des données. La litière a été prélevée par horizon morphologique (OL, OF, OH) et le sol minéral sous-jacent par couche de profondeur systématique (0-10 cm, 10-20 cm, 20-40 cm). La variabilité spatiale au sein de chaque placette a été quantifiée suivant le même plan d'échantillonnage à chaque campagne de terrain : 25 prélèvements répartis entre cinq sous-placettes fixes (grappes), pour chacune desquelles un composite a été analysé. Les analyses physico-chimiques ont été réalisées par le Laboratoire d'analyse des sols (INRA Arras), suivant les mêmes méthodes lors des deux campagnes.

De manière inattendue, les changements observés dans les sols ont été principalement guidés par l'évolution des paramètres associés aux matières organiques (carbone organique et azote total). Les stocks de carbone organique ont augmenté de manière significative (en moyenne +0,34 tC/ha/an), et essentiellement dans les couches de surface (litière et sol minéral jusqu'à 10 cm de profondeur) tandis qu'ils sont restés stables dans les couches plus profondes (sol minéral de 10 à 40 cm de profondeur). En revanche, si les stocks d'azote total ont quelque peu augmenté dans les couches de surface (litière et sol minéral jusqu'à 10 cm de profondeur), ils ont nettement diminué dans les couches les plus profondes (sol minéral de 10 à 40 cm de profondeur). Il en résulte une baisse globale des stocks d'azote, peu significative statistiquement mais dont l'ampleur (-11 kg/ha/an en moyenne) ne serait pas explicable uniquement par la diminution constatée des dépôts d'azote atmosphériques. Elle interroge aussi quant à de possibles pertes par drainage ou par une immobilisation accrue dans la biomasse. En conséquence des évolutions des stocks de carbone (C) et d'azote (N), le rapport C/N a augmenté très significativement dans toutes les couches et quel que soit le contexte écologique (+2,6 unités en moyenne sur l'ensemble de la litière et du sol minéral jusqu'à 40 cm de profondeur). Cela dénote une évolution de la qualité des matières organiques, qui pourrait avoir ralenti leur décomposition et contribué à favoriser leur stockage au cours du temps.

Concernant l'acidification, elle s'est poursuivie dans les sols les plus acides et sensibles à ce phénomène (pH H2O < 4,5). Leur pH a baissé dans chacune des couches minérales, et leur taux de saturation en bases a aussi diminué en considérant globalement les stocks d'éléments échangeables de 0 à 40 cm de profondeur. Cependant cette acidification ne s'est pas accompagnée d'un appauvrissement en valeur absolue de ces sols les plus acides. Leurs réserves en magnésium et en potassium échangeables ont même augmenté dans le même temps. Cette évolution en apparence paradoxale tient essentiellement à la couche 0 à 10 cm du sol minéral, où l'augmentation globale de la capacité d'échange cationique peut s'expliquer par celle des stocks de matière organique.

Ces résultats révèlent l'importance de la dynamique des matières organiques, non seulement vis-à-vis des enjeux de séquestration de carbone, mais aussi dans l'évolution de la fertilité chimique des sols forestiers. Associés à l'ensemble des paramètres mesurés sur les mêmes placettes, ils constituent un jeu de données inédit pour améliorer la compréhension et la modélisation des cycles du carbone et des éléments nutritifs.

Effets combinés de la pollution atmosphérique et du changement climatique - La parole à Anne Probst (CNRS)

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Résumé

Les activités humaines contribuent à l'augmentation des émissions soufrées et azotées dans l'atmosphère notamment depuis la fin du 19ième siècle. Les composés émis dans l'atmosphère et transportés sur de longues distances, retombent sous forme de dépôts atmosphériques, notamment sur les écosystèmes forestiers.

Les émissions soufrées ont été régulées à l'échelle européenne ces dernières années, mais celles des composés azotés sont toujours importantes, et plus difficiles à maitriser compte tenu de la multiplicité des sources et formes de l'azote, de la complexité de son cycle et de ses transformations. Dans le cadre de la convention de Genève sur la pollution atmosphérique transfrontalière à longue distance (1979), un effort entre pays européens est mené pour réduire les émissions et dépôts atmosphériques, notamment azotés.

L'azote reste un nutriment important pour les forêts mais les dépôts atmosphériques azotés ont un impact reconnu sur la biogéochimie du sol, les bilans de nutriments, la croissance des arbres, et plus largement sur la santé des forêts et la biodiversité végétale des sous-bois. Ces effets dépendent des caractéristiques environnementales des forêts, et leur impact combiné à celui du changement climatique global amorcé, impacte et perturbe le fonctionnement des écosystèmes forestiers, mais il reste peu connu.

Il apparaît alors primordial dans ce contexte de pouvoir prédire l'effet de ces dépôts atmosphériques sur les écosystèmes forestiers en France. Pour ce faire, des modèles couplés biogéochimiques - écologiques, tels que ForSAFE-VEG, ont été développés. Ils permettent de simuler sur le long terme l'impact des dépôts atmosphériques et du changement climatique, en combinaison sur la réponse biogéochimique du sol et en cascade sur la biodiversité forestière, tout en intégrant les caractéristiques environnementales du milieu dans le but d'estimer les charges critiques (outil permettant d'apprécier la sensibilité d'un écosystème aux dépôts d'azote). Les développements et l'application de ces modèles sont possibles à condition de disposer de données d'entrée et de validation robustes (qualité et quantité de précipitations, composition des solutions de sols, caractéristiques des sols, estimation de la biomasse, relevés de végétation...). Ces données, indispensables à la mise en œuvre des modèles, doivent être disponibles pour chaque site ou écosystème pour lequel la modélisation est appliquée.

Les premiers travaux sur cette approche de modélisation couplée ont montré que, pour être pertinente, elle doit être adaptée au territoire à évaluer. Pour la France, les données d'observations obtenues depuis 25 ans par le réseau RENECOFOR constituent une richesse sans pareille permettant de renseigner et de tester les modèles à l'échelle des sites, avant d'envisager une extrapolation par écosystème forestier, et une spatialisation à l'échelle du territoire. L'objectif de cette spatialisation est de permettre des actions concrètes de régulation des émissions concertées entre pays à l'échelle européenne sur des bases robustes. Une dizaine de placettes du sous-réseau CATAENAT ont été retenues pour les processus de validation et calibration des modèles, puis les 102 placettes en combinaison avec d'autres réseaux bien renseignés au niveau français (base de données EcoPlant avec 6000 sites, notamment) ont servi à l'extrapolation. La paramétrisation de la végétation permet d'élaborer des modèles de régression logistique pour prédire l'évolution de plusieurs centaines d'espèces végétales forestières métropolitaines, en réponse à des modifications de facteurs environnementaux majeurs.

Le changement climatique et la modification des dépôts atmosphériques azotés ont une influence importante sur la composition de la solution de sol d'une part, et sur la composition de la communauté végétale, d'autre part. Les résultats soulignent notamment l'impact combiné des scénarios de dépôts et climatiques sur certains paramètres biogéochimiques clés des sols forestiers, avec un effet prédominant du climat sur le taux de saturation en cations basiques, et des dépôts sur le cycle de l'azote. Par ailleurs, les effets des dépôts d'azote seuls (Fig. a), et combinés aux scénarios de changement climatique (Fig. b) sur la biodiversité, sont illustrés pour la placette CHS 41 par un impact à long terme sur l'abondance et la diversité spécifique, mais qui dépend des espèces et de leur affinité écologique. La réponse des fougères, des graminées, des herbacées, des mousses et des arbustes a été simulée (Fig. a), et montre l'effet ambivalent de l'azote, inhibiteur (graminées) ou au contraire favorisant le développement des espèces (mousses). 


Site sous chêne sessile CHS41 du réseau RENECOFOR

Site sous chêne sessile CHS41 du réseau RENECOFOR. a) En haut : Evolution de la couverture de la végétation de sous-bois (en %), simulée par le modèle ForSAFE-Veg au cours du temps. Losanges et pointillés bleus: dépôts mesurés et simulés, respectivement (Probst et al., 2015). b) En bas : Évolution du critère de similarité de Czekanowski : comparaison de la composition floristique sous plusieurs combinaisons de scénarios climatiques (T°+3,4°C (A2) et sans changement climatique (No_CC)) et de dépôts d’azote (MFR : Réduction Maximale Envisageable des émissions de N et CLE : Emissions suivant la législation actuelle), avec un scénario de base (BKG) (Rizzetto et al., 2016).
a) En haut : Evolution de la couverture de la végétation de sous-bois (en %), simulée par le modèle ForSAFE-Veg au cours du temps. Losanges et pointillés bleus: dépôts mesurés et simulés, respectivement (Probst et al., 2015). b) En bas : Évolution du critère de similarité de Czekanowski : comparaison de la composition floristique sous plusieurs combinaisons de scénarios climatiques (T°+3,4°C (A2) et sans changement climatique (No_CC)) et de dépôts d’azote (MFR : Réduction Maximale Envisageable des émissions de N et CLE : Emissions suivant la législation actuelle), avec un scénario de base (BKG) (Rizzetto et al., 2016). - ©Anne Probst / CNRS

Bien que le climat semble être le driver prédominant du fait de son impact évident sur les cations basiques à partir de 2080 et sur la réponse des espèces végétales, un effet positif du scénario de réduction maximale des émissions d'azote (MFR) est également visible sur la biodiversité. Cependant, des pics et des variations significatives de la couverture végétale et de la similarité observables à court terme (25 ans), peuvent être reliés - en complément du rôle joué par le changement climatique et les dépôts d'azote atmosphérique - à au moins un voire plusieurs autres facteurs.

Ainsi, la gestion forestière par l'ouverture du couvert arboré due à une coupe forestière, ou encore les événements climatiques (les épisodes de tempête), peuvent influencer les concentrations en cations basiques du sol. Un apport accru de lumière pour la strate du sous-étage peut également avoir comme effet une augmentation du couvert des espèces de lumière et de demi-ombre, et un recul d'abondance pour les espèces tolérantes à l'ombre.