Introduction de la thématique - La parole à Myriam Legay (ONF)

©ONF

Résultats d'observation des arbres - La parole à François Lebourgeois (AgroParisTech)

©ONF

Résumé

La production annuelle de biomasse d'une forêt se répartie entre les différents compartiments comme le tronc, le houppier, ou encore les fruits. Du fait du caractère longévif des arbres, la croissance radiale est considérée comme un indicateur central de réponse au climat. De la même façon, la phénologie foliaire est un très bon indicateur de la capacité de survie étant donné son caractère très sélectif. La capacité à produire des fruits est également essentielle pour assurer le maintien dans le temps d'une espèce. Même si ces différents marqueurs de l'environnement commencent à être documentés, les causes de leurs variations interannuelles ne sont pas complètement élucidées.

Depuis 25 ans, les données récoltées dans le réseau RENECOFOR ont permis des avancées majeures sur la compréhension du déterminisme environnemental (essentiellement climatique) de la croissance radiale, de la phénologie foliaire et de la fructification des principales essences forestières des forêts tempérées.

Nous présentons ici la synthèse pour les feuillus (chênes sessile, pédonculé et hêtre) des différents évènements et des variables climatiques majeures les modulant (cf. Figure).

Synthèse des périodes et variables clés modulant la croissance radiale, la feuillaison et la fructification des peuplements feuillus (chênes sessile, pédonculé et hêtre) du réseau RENECOFOR

Synthèse des périodes et variables clés modulant la croissance radiale, la feuillaison et la fructification des peuplements feuillus (chênes sessile, pédonculé et hêtre) du réseau RENECOFOR. Titre accessibilité : Synthèse des périodes et variables clés modulant la croissance radiale, la feuillaison et la fructification des peuplements feuillus (chênes sessile, pédonculé et hêtre) du réseau RENECOFOR.
©François Lebourgeois / AgroParisTech

Pour les chênaies, le débourrement commence en moyenne vers la mi-avril et le jaunissement vers la mi-octobre. A l'est de la France, la saison de végétation est plus courte (180-190 jours contre 210-220 jours à l'ouest) en conséquence d'un débourrement plus tardif (retard de 2 jours par degré de longitude) et d'un jaunissement plus précoce (5-10 jours).

Pour le hêtre, la saison de végétation débute plus tard vers la fin de la troisième semaine d'avril. Le jaunissement des feuilles intervenant début octobre, la saison de végétation est en moyenne de 180 jours. Pour le débourrement, la température des mois de mars et avril joue un rôle central (cf. Figure). Par exemple, 1°C de plus en mars se traduit par une précocité de 2 à 5 jours. Pour le jaunissement, les températures d'octobre ou novembre jouent le plus grand rôle avec une sénescence plus tardive en cas de températures plus élevées (Delpierre et al., 2009 ; Lebourgeois et al., 2008, 2010).

Concernant la croissance, c'est le bilan hydrique qui module le plus fortement la mise en place du cerne et sa largeur.
Ainsi, pour le hêtre, une sécheresse en début d'été (surtout juin) aboutit à un cerne fin (cf. Figure). En contexte de plaine, le hêtre est d'autant plus sensible que le sol est superficiel (réserve utile maximale en eau du sol inférieure à 100 mm) ou le régime pluviométrique faible (précipitations annuelles inférieures à 700 mm) (Lebourgeois et al., 2005).

Pour les chênes, c'est la sécheresse sur l'ensemble de la saison (juillet à octobre) qui joue un rôle important mais les périodes clés sont très variables selon les peuplements et les conditions locales considérés.

Les différences entre les deux espèces sont faibles même si le chêne pédonculé semble plus sensible aux sécheresses exceptionnelles. Le chêne sessile apparaît cependant d'autant plus sensible à la sécheresse estivale que le climat est chaud et sec. Ainsi, dans l'ouest de la France sous climat océanique sec (P < 700 mm), il présente une réponse négative forte à la sécheresse estivale et aux températures automnales. En revanche, sa réponse à ses facteurs est très faible dans les conditions plus fraiches et plus humides du climat semi-continental de l'est de la France (P > 800 mm) (Lebourgeois, 2006 ; Mérian et al., 2011).

Enfin, concernant la fructification, les chênaies produisent en moyenne 251 kg de fruits par ha et par an contre 171 pour les hêtraies. Pour les 2 espèces, les fruits représentent seulement 5% de la litière récoltée annuellement. La production de faines suit un cycle bisannuel et apparait très synchrone entre les peuplements. En revanche, la production de glands est beaucoup plus irrégulière et asynchrone entre les peuplements (Lebourgeois et al., soumis).

Pour les chênes, la production dépend des températures automnales de la saison précédente, des températures d'avril et du carbone accumulé en fin d'été (cf. Figure). Comme pour les chênes, le mois d'avril est une période clé pour la fainée mais des conditions hivernales modulent également la production de fruits. En fin de saison, des conditions automnales favorables (températures et bilan de carbone élevés) favorisent la production de glands (quantité et biomasse). Les analyses montrent également que la production de faines dépend très étroitement de la quantité de pollen émis (relation non observée pour les chênes).

Concernant les relations avec la croissance, elle est positive pour les chênes (une année à forte croissance est également une année à forte production de graines) et négative pour le hêtre (forte fainée = croissance réduite).

Mieux comprendre les processus d'influence du climat - La parole à Xavier Morin (CNRS)

©ONF

Résumé

Le changement climatique affecte toutes les échelles écologiques, depuis les individus jusqu'aux biomes, en passant par les populations, les espèces, et les écosystèmes (Valladares, 2008). En effet, les conditions climatiques conditionnent de façon prépondérante la niche écologique des essences forestières, en affectant beaucoup de processus physiologiques des arbres. De fait, l'impact du changement climatique sur les essences est déjà visible, depuis la physiologie des individus (Saxe et al., 2001), notamment la phénologie (Lebourgeois et al., 2008 ; Morin et al., 2010), jusqu'à leur répartition géographique (Lenoir et al. 2008) et la composition des communautés (Bertrand et al., 2011). Ces modifications altèrent in fine la biodiversité dans son ensemble, et le fonctionnement des écosystèmes qui en découle (Kinzig et al., 2002 ; Morin et al., 2011).

Face à une telle cascade d'impacts, seule une meilleure compréhension des processus et de leur déterminisme nous permettra de mieux anticiper les effets du changement climatique, en développant notre capacité à intégrer la complexité du fonctionnement de l'écosystème et à identifier les paramètres importants de leur réponse au climat (Morin, 2006). Dans ce but, les observations de long terme, telles que celles récoltées dans le réseau RENECOFOR depuis 25 ans, revêtent une importance particulière. En effet, uniquement l'apport de ce genre de données permet de bien rendre compte des effets du climat sur les processus écologiques, tels que la réponse phénologique des espèces ou la croissance des individus, et de les intégrer ensuite dans des modèles afin d'obtenir des prédictions plus robustes pour le futur.

Nous tenterons ici de présenter un état des lieux de nos capacités à comprendre les processus pour simuler l'impact du climat (et de son changement) sur les arbres forestiers. Pour cela, nous nous focaliseront particulièrement sur les effets du climat sur la répartition des essences forestières, et sur la croissance relative de ces essences en peuplements monospécifiques ou mélangés. Plus précisément nous chercherons à illustrer comment des données acquises sur le long terme permettent de répondre aux questions suivantes :

  • Quelle évolution de l'aire de répartition des essences forestières peut-on prédire ?
  • Dans quelle mesure le mélange d'essences peut-il améliorer la capacité d'adaptation des forêts au climat, en considérant le lien entre composition des communautés d'espèces et fonctionnement de l'écosystème ?


La réponse à ces questions se basera sur les résultats issus des modèles PHENOFIT (Chuine & Beaubien, 2001 ; Cheaib et al., 2012) [comme illustré dans la Figure] et ForCEEPS (Morin et al., in prep).

Exemple de simulation de la répartition du hêtre dans en 2055 avec le modèle PHENOFIT

Exemple de simulation de la répartition du hêtre dans en 2055 avec le modèle PHENOFIT. En vert : zones où l’espèce serait présente actuellement et en 2055 ; en rouge : zones ou l’espèce disparaitrait en 2055 ; en bleu : zones colonisables pour l’espèce en 2055
En vert : zones où l’espèce serait présente actuellement et en 2055 ; en rouge : zones ou l’espèce disparaitrait en 2055 ; en bleu : zones colonisables pour l’espèce en 2055 - ©Xavier Morin / CNRS

Tester la détection par satellite - La parole à Eric Dufrêne (CNRS) et Kamel Soudani (Université Paris Sud)

©ONF

Résumé

La phénologie de la végétation est l'étude de l'apparition d'évènements périodiques tels que le débourrement, la feuillaison, la sénescence et la chute foliaire. Elle est principalement gouvernée par le climat et est considérée comme étant le premier indicateur biologique visuel de sa variabilité.
La caractérisation précise de la phénologie nécessite un échantillonnage exhaustif afin de tenir compte de la diversité des espèces et de la variabilité des facteurs climatiques. Les observations in situ sont nécessaires mais laborieuses, de faible représentativité spatiale et par conséquent difficilement généralisables aux échelles larges.

La télédétection satellitaire a été souvent présentée comme une alternative. Les premiers travaux ont démarré depuis plusieurs décennies grâce aux images journalières par l'instrument AVHRR embarqué sur les satellites NOAA (USA). Les estimations fournies, bien qu'elles aient été assujetties à de fortes incertitudes, ont permis de disposer des premières cartographies de la phénologie à l'échelle globale et sur les différents biomes terrestres.
Depuis une quinzaine d'années, une amélioration significative a été apportée grâce à l'instrument MODIS embarqué sur les satellites TERRA et AQUA (NASA, USA), spécialement dédiés à l'auscultation en continu du fonctionnement de la biosphère terrestre. L'amélioration a concerné aussi bien la résolution spatiale (250 m-1 km MODIS vs 1 km AVHRR), la résolution spectrale (36 bandes de longueur d'ondes vs. 6), la précision de géolocalisation (50 m vs 1 à 2 km) ainsi que de la qualité des données fournies. Les acquisitions MODIS sont utilisées pour générer et distribuer de nombreux produits cartographiques à l'échelle globale notamment la phénologie à une résolution spatiale de 500 m (MCD12Q2) et 1 km (MOD12Q2).

D'une manière générale, ces estimations utilisent la dynamique temporelle de certains indices, dits indices de végétation, sensibles à la biomasse végétale. Notons que la sensibilité de ces indices ne permet de distinguer que les transitions relatives au feuillage et lorsqu'elles sont bien marquées. Le NDVI (normalised difference vegetation index) est l'indice spectral le plus utilisé. Il exploite le contraste important qui existe entre le rayonnement réfléchi par la végétation dans le proche infrarouge (PIR) et le rouge (R) en raison de la forte absorption de la lumière dans cette gamme de longueur d'onde. Il est donné par l'expression suivante : NDVI = (NIR - RED) / (NIR + RED). La Figure illustre la dynamique temporelle du NDVI mesuré in situ pendant une année ainsi que les principales phases phénologiques relatives au feuillage.

Dynamique intra-annuelle du NDVI sur une forêt feuillue décidue

Dynamique intra-annuelle du NDVI sur une forêt feuillue décidue. Les carrés correspondent au NDVI mesuré. (d1,d2,d3) et (s1,s2,s3) sont des indicateurs phénologiques extraits de la courbe théorique (en rouge). Ils correspondent aux dates de transition de débourrement et d’expansion foliaire du printemps et de senescence en automne. La courbe bleue (dérivée 3ème de la courbe rouge) permet de détecter ces transitions.
Les carrés correspondent au NDVI mesuré. (d1,d2,d3) et (s1,s2,s3) sont des indicateurs phénologiques extraits de la courbe théorique (en rouge). Ils correspondent aux dates de transition de débourrement et d’expansion foliaire du printemps et de senescence en automne. La courbe bleue (dérivée 3ème de la courbe rouge) permet de détecter ces transitions. - ©Kamel Soudani / Université Paris-Sud

Un travail d'évaluation du spectromètre satellitaire MODIS pour l'estimation des dates phénologiques des peuplements feuillus caducifoliés a été entrepris en s'appuyant principalement sur les observations réalisées dans le cadre du réseau RENECOFOR (Soudani et al. 2008 ; Hmimina et al. 2013 ; Testa et al., soumis).

Les résultats obtenus ont permis de montrer que le point d'inflexion du NDVI pendant le printemps (d2) est le meilleur marqueur de la date de débourrement observée. L'erreur de prédiction était de 8,5 jours avec un léger biais positif de 3,5 jours. Le produit MOD12Q2 fournit des estimations qui s'écartent fortement des observations. L'incertitude est de 20 jours avec un biais négatif de 17 jours. Alors que la phase de débourrement et d'expansion foliaire est relativement rapide (20-30 jours entre le débourrement et l'indice foliaire maximum dans les forêts tempérées de hêtre et de chênes), la phase de sénescence est plus étalée et coïncide avec le retour des mauvaises conditions météorologiques rendant encore plus incertaine la télédétection d'une date qui marque cette phase. L'erreur de prédiction est de 20 jours dans les meilleurs cas (Testa et al., in press).

En conclusion, les observations acquises par le réseau RENECOFOR selon des protocoles standardisés et à long terme offrent des potentialités inégalées pour la validation et la calibration des produits satellitaires. Ceci est d'autant plus nécessaire que de nouveaux satellites, notamment dans le cadre de la mission Sentinel de l'ESA (Agence spatiale européenne), alliant à la fois la très haute résolution temporelle et spatiale, sont spécialement dédiés à l'observation de la Terre, pour fournir en routine des produits à destination de différents acteurs. Les incertitudes associées à ces produits doivent être évaluées afin d'éviter les mauvaises interprétations et définir les limites de leur utilisation (Soudani & François, 2014).