Les chênes de Boulogne prennent la voie des airs

Une méthode innovante est expérimentée en forêt domaniale de Boulogne : le débardage par câble-mât. Le débardage, qui consiste à sortir les arbres coupés de la parcelle forestière pour qu’ils puissent ensuite être transportés, est habituellement réalisé avec un tracteur articulé appelé débusqueur. L’utilisation de ces engins particulièrement lourds est le plus souvent impossible durant cette période de l’année sur les zones où le sol est très humide, car ils pourraient le tasser et l’endommager. Mais cet hiver grâce au débardage aérien dans ces parcelles sensibles, les forestiers continuent de travailler pendant que le sol se repose !

Zoom sur le débardage aérien en plaine

Un câble, soutenu par des pylônes, est tiré au-dessus de la parcelle à travailler. Les bois coupés sont attachés, soulevés dans les airs et déplacés le long du câble par un chariot radiocommandé. Ils sont ensuite alignés au bord de la route forestière à l'aide d'une pelle mécanique à grapin, où les grumiers, les camions de transport des bois, pourront venir les récupérer.

Les lignes sur lesquelles sont placés les câbles doivent être parfaitement droites et d'une largeur de 3 mètres. Avec un chariot pesant de 700 à 800 kg, le poids des bois, plus les surtensions de la ligne durant le transport, le câble porteur subit entre 8 et 12 tonnes de tension. Les haubans retenant les mâts doivent quant à eux tenir entre 20 et 30 tonnes. Un tour de force !

Quelques avantages du câble-mât :

  • Récolte du bois dans des zones difficiles d’accès
  • Protection des sols
  • Limitation des risques de blessures aux arbres et racines
  • Réduction des nuisances sonores et visuelles
  • Baisse de la consommation de carburant de 50 % à 100 % (avec le matériel tout électrique)
  • Diminution des travaux à réaliser
  • Récolte des bois toute l’année
  • Meilleur approvisionnement des professionnels et industries du bois
Un câble soulève le bois qui est ensuite tiré par le chariot radiocommandé par l'opérateur - ©Alexandra Mathy / ONF

Une nouveauté en Val-de-Loire

Cette technique, principalement utilisée en montagne, est une nouveauté pour les forestiers de l’agence ONF Val-de-Loire. Bien qu’elle soit plus onéreuse qu’un débardage classique, il est important pour les équipes de développer ce savoir-faire qui permet de travailler tout en préservant les sols en hiver. En effet sans le câble, le chantier serait stoppé jusqu’à ce que le sol soit assez sec pour limiter le tassement des chemins d’exploitation à cause du poids des engins. Deux parcelles voisines, en Loir-et-Cher, ont été choisies car elles sont tout à fait adaptées et représentatives des conditions de débardage par câble-mât en plaine. Ce chantier école permet aux équipes terrain de se former. Un partage d'expérience à été programmé avec l'intervention de Mickaël Vericel, chargé de mission câble national et veille technologique pour l'ONF.

Le chantier en quelques chiffres

  • Les deux parcelles s'étendent sur une surface de 40 hectares, avec un sol particulièrement sensible au tassement. Une coupe d'amélioration a été réalisée, c'est à dire que des arbres ont été coupés pour réduire la densité et permettre aux plus beaux de se développer. Ce chantier représente un total de 800 m3 de bois à débarder, soit une moyenne de 20 m3 par hectare.
  • Après une première phase d'analyse technique et de réalisation du plan de câblage, le débardage a été mené à bien par la société Provence Abattage. L'entreprise, bien qu'encore débutante dans le domaine, a fait un travail exemplaire.
  • Un jour de montage et un jour de démontage ont été nécessaires pour l'installation du câble-mât. Une ligne de 500 mètres de câble a été déployée, sachant qu'elle peut atteindre maximum 800 mètres. Un arbre relai a été utilisé comme pylône intermédiaire en milieu de ligne.
  • Si le coût de production (abattage, débardage, façonnage) reste proche de celui des techniques classiques, des frais supplémentaires viennent s'ajouter pour le déplacement de l'entreprise et pour le forfait de montage/démontage des lignes. L'objectif économique est d'atteindre 30 à 35 € du m3 tout compris, soit 10 à 15 € de plus au mètre cube qu'avec d'autres techniques.

L'ONF soutient les professionnels du secteur

Cette méthode de débardage innovante minimise l'impact sur l'environnement et permet de fournir des bois aux professionnels de la filière même quand la météo rend le sol impraticable pour les engins. Des avantages importants pour l'Office national des forêts qui teste ces chantiers depuis une dizaine d'années et souhaite accompagner le développement de cette activité.

Très répandu au Japon, en Bolivie, en Amérique du Nord, le débardage par câble-mât est également proposé par beaucoup d'entreprises en Europe, avec environ 500 professionnels en Autriche et une centaine en Allemagne, Suisse et Italie. En France l'activité est hélas beaucoup moins développée, avec moins de 12 professionnels de travaux forestiers proposant ces prestations. Le frein principal pour les entreprises françaises n'est pas l'achat en matériel, puisque le coût est à peu près équivalent à celui d'autres machines et des aides financières jusqu'à 40% peuvent être accordées pour ces investissements. La difficulté réside dans l'accès à la formation, car aucun centre n'enseigne cette technique pour le moment sur notre territoire. Les professionnels financent donc eux-mêmes la formation, ce qui représente environ 40000€ par opérateur. Un coût très important pour les entreprises qui a un impact fort sur le marché.

L'ONF, qui veut diversifier ses méthodes de travail et répondre aux enjeux à venir, s'implique fortement auprès des professionnels du secteur. Pour faciliter la formation tout d'abord, l'Office développe des tutorats qui mettent en relation les nouveaux professionnels avec des câblistes confirmés. L'établissement appuie également le dossier monté auprès de l'ADEME pour créer une offre de formation.
Enfin, un plan d'action national câble et un plan d'action territorial ont été lancés pour développer le câble-mât en France. L'objectif est de proposer 2 000 m3 de chantiers câble, avec une volonté de monter en puissance les années suivantes. Cinq entreprises de travaux forestiers (ETF) ont répondu au marché national ouvert en 2022, et trois de plus sont en cours de positionnement pour 2024. Des chantiers qui vont permettre de gagner encore en maîtrise, de démocratiser la pratique, de fidéliser les ETF et de leur offrir plus de perspectives en lissant leur activité et leur chiffre d'affaires sur toute l'année : l'été en montagne et l'hiver en plaine !

L'équipe ONF Val-de-Loire a pu tirer de riches enseignements de ces chantiers tests en forêt domaniale de Boulogne. Ce travail participe à l'effort national de perfectionnement et de développement de ces techniques de débardage par câble-mât. Une méthode d’exploitation de haut-vol qui répond à une volonté d'évolution, offre des avantages économiques pour toute la filière bois française et des solutions pour prendre soin de nos forêts sensibles.

En voie de disparition, cette technique d’avenir est une réponse forte aux enjeux d’aujourd’hui.

Mickaël Vericel, chargé de mission câble national et veille technologique

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