Cigognes noires : de grandes migratrices à l'étude
Etude des cigognes noires par le réseau avifaune de l'ONF, en Côte d'Or
La cigogne noire, espèce emblématique et protégée, a fait son grand retour en France au début des années 70. Aujourd’hui, deux tiers de leurs nids se trouvent en forêt publique où les naturalistes de l’ONF veillent à assurer la quiétude indispensable à leur bien-être et leur reproduction.
Afin de comprendre pourquoi le taux de mortalité des jeunes cigogneaux augmente malgré la conduite d'une gestion durable, le réseau avifaune mène un suivi attentif de cette espèce grâce à la pose de minuscules balises sur les oisillons.
Arnaud Mitaine, technicien forestier territorial, a découvert un nid de cigogne noire. « En avril 2021 (période Covid), j'ai constaté la présence de cigognes noires qui survolaient le secteur. J'ai donc contacté Léon Schlienger, référent cigogne noire en Côte-d'Or, pour mettre en place un suivi. Depuis, j'ai placé ce secteur en îlot de vieillissement afin de réduire les interventions humaines qui sont sources de dérangement. Tous les ans, je surveille le nid à partir du mois de mars pour constater le retour des cigognes. Je l'observe pendant toute la période de couvaison et transmets les informations au référent local pour qu'il puisse fixer une date pour la pose des bagues avec les membres du réseau avifaune spécialisé sur le sujet de la cigogne noire. »
©Giada Connestari
En France, chaque département possède un réfèrent "cigogne noire" qui rassemble les informations recueillies par les forestiers afin de mettre en place un suivi de l'espèce sur tout le territoire.
En Côte-d'Or, le retour de la cigogne noire a été observé pour la première fois en 1992. Aujourd'hui, Léon Schlienger, technicien forestier territorial et responsable cigogne noire à l’ONF, décompte cinq nids dans le département. La présence de forêts profondes, les nombreuses sources d'eau et le gros bois sont certainement les éléments qui incitent cet oiseau rare à y faire son nid.
Vincent Lachut, grimpeur, technicien forestier territorial et membre du réseau avifaune, est impliqué dans les opérations de bagage des cigognes noires depuis désormais six ans. Chaque année, il dédie environ quinze jours à cette mission, à raison de deux voire trois nids par jour. Son objectif : baguer environ 100 poussins par an.
Sous ce chêne centenaire où un couple de cigognes noires a nidifié, il prépare le matériel nécessaire à son ascension du jour. Après avoir isolé une branche de bon diamètre à l’aide d’une cordelette légère sur laquelle est accroché un sac de poids important, il noue sa corde d’accès à celle-ci. Il s’équipe d’un baudrier et de poignées ascensionnelles afin de sécuriser l’opération pour lui-même et pour les oiseaux.
Vincent est en haut, tout à côté d'un nid qui pèse dans les 40 kilos, construit par les cigognes avec environ 600 brins. Pour bien faire, l'arbre doit comporter des branches assez solides pour en supporter le poids, mais également des ouvertures assez importantes pour permettre l'envol des oiseaux, dont l'envergure alaire mesure jusqu’ à 200 cm : un travail d'orfèvre !
Ici, Vincent est en train de couvrir les cigogneaux d'une couverture opaque : cela permet de les garder au calme et de minimiser leur dérangement.
D'un geste sûr, Vincent attrape un jeune cigogneau pour le descendre jusqu'au bagueur. Ce dernier interviendra au sol avant que le grimpeur aguerri ne remonte l'oisillon à son nid dans les plus brefs délais. Forestiers et naturalistes qui étudient cette espèce fragile prennent toutes les précautions pour ne pas la perturber à chacune des étapes de cet inventaire.
©Giada Connestari
Afin de respecter au maximum le bien-être et la reproduction des cigognes les naturalistes s’assurent que toute exploitation en forêt soit interdite sur un périmètre de 300 mètres entourant de part et d’autre le nid pendant toute la période de nidification. Cette phase, qui débute le 1er mars et se termine le 15 juillet, peut être prolongée jusqu'au 15 août si les oiseaux n'ont pas encore quitté le nid.
Un arbre porteur de nid ne peut être exploité car d'autres oiseaux peuvent s’y installer. La parcelle est également placée en îlot de vieillissement afin d’assurer la quiétude de l’oiseau. C’est ainsi que l'ONF parvient à concilier la préservation de la biodiversité et l'exploitation forestière à l'échelle d'un massif.
Aujourd'hui, c'est Jérôme Bernard, technicien forestier territorial, membre du réseau avifaune et bagueur spécialisé, qui posera les balises sur les jeunes cigogneaux. Il a reçu pour cela une formation, validée par le Centre de recherche sur la biologie de population d'oiseaux (CRBPO), l'antenne du Muséum national d'Histoire naturelle de Paris qui s'occupe du suivi des oiseaux à l'échelle nationale. Cette validation annuelle assure que Jérôme est en mesure de prendre toutes les précautions pour ne pas blesser les oiseaux lorsqu'il est amené à les manipuler et à poser les balises utiles à leur observation.
©Giada ConnestariJérôme maintient délicatement une jeune cigogne noire avant de la baguer. Cette espèce forestière classée “vulnérable” est inscrite sur la liste rouge de la directive française des oiseaux.
©Giada ConnestariL’espèce de la cigogne noire se caractérise par son plumage noir, la coloration du bec et des pattes rouges à l'âge adulte. Les plumes blanches qui recouvrent l'oisillon à la naissance constituent le duvet. À cinquante jours, il aura pratiquement disparu et l'oiseau commencera à avoir l'allure d'un adulte. Si les premières plumes noires commencent à apparaître autour des vingt jours, il faudra attendre deux ans avant que le bec, les pattes et les plumes prennent leurs couleurs définitives. C'est donc la présence des plumes noires qui permet de déterminer, avec une marge d'erreur d'à peine quelques jours, l’âge des cigogneaux.
©Giada ConnestariJérôme pose une bague alphanumérique sur un poussin âgé de vingt-cinq jours. À ce stade, il est assez développé pour être manipulé et sa mobilité est encore assez réduite pour intervenir sans danger. Cette balise permettra d'identifier d'autres nids, de collecter des données sur les origines, les déplacements de l'espèce et les changements de ses habitudes migratoires ainsi que sur les causes de son taux de mortalité. Les naturalistes constatent que 50 % des individus n'atteignent pas la première année : les jeunes cigogneaux étant supposés tout apprendre seuls une fois qu’ils ont quitté le nid.
©Giada ConnestariLa bague que Jérôme vient de fixer avec une grande précaution est équipée d'une balise GPS alimentée par un panneau solaire. Elle permet de suivre l'évolution et les déplacements de l'oiseau en temps réel. Ces bagues ont été financées par un programme scientifique européen destiné à l'amélioration de connaissance de certaines espèces rares, dont la cigogne noire. Les données transmises par la balise apportent des informations sur la dispersion des oiseaux, sur leur espérance de vie, sur la fidélité des couples, la fréquentation du nid, la migration et enfin la cause de mortalité des spécimens. Si la balise s'arrête, l'ONF ou ses partenaires pourront envoyer un spécialiste pour constater et comprendre la cause de la mortalité.
©Giada ConnestariLa bague métallique d'identification est la bague officielle du Muséum national d'Histoire naturelle et correspond à la pièce d'identité du spécimen. Elle est obligatoire dans toutes les opérations de baguage d'oiseau qui ne peuvent être effectuées que par des bagueurs spécialisés, ayant reçu une formation et une validation auprès du CRBPO. L'ONF est partenaire du programme de bagage national de Cigogne noire depuis de nombreuses années avec la Ligue de protection des oiseaux.
©Giada Connestari
Le jeune cigogneau d'à peine vingt-cinq jours jours vient d'être bagué. Ses parents ayant désormais quitté le nid à la recherche de nourriture, il est encore très vulnérable et pourrait être l'objet de prédation, notamment par la martre ou le raton laveur, une espèce invasive qui commence à poser des problèmes localement. Une tempête estivale pourrait aussi être fatale à un si jeune oiseau qui ne sait pas se réchauffer seul.
D'ordinaire, son duvet est un excellent isolant mais il perd toute efficacité quand il est trempé. C'est pourquoi Jérôme, fin connaisseur de cette espèce protégée, demande une surveillance plus stricte de ces jeunes nichées pendant l'été.
Une fois les bagues posées, Jérôme mesure également le tarse des oisillons. Cela correspond à un segment de leurs pattes. Cette mesure permettra d''établir un lien entre le sexe, la taille et la dimension des oiseaux. En effet, la cigogne noire ne présente aucun dimorphisme sexuel, mise à part la taille du tarse et du bec légèrement plus importante pour ce qui concerne le mâle. Le but de ces mesures et des données prises au cours d'années de suivi de l'espèce, permettront d'améliorer la connaissance et à terme la protection de cet oiseau emblématique.
©Giada ConnestariEncore un geste essentiel à l'avancée de cette étude : Jérôme pèse chaque oisillon. Seule cette manipulation permet d'établir leur état de santé et donc la qualité des sources de nourriture. La cigogne noire se nourrit de batraciens, d'amphibiens et de poissons (sa préférence va au chabot !) qu'elle trouve dans les petits cours d'eau, les mares ou les flaques forestières. Ces sources de nourriture pour la cigogne varient au gré des conditions climatiques et de la pluviométrie annuelle. De plus, il a été établi une relation directe entre l'état de malnutrition des poussins et la présence de parasites. Preuve que surveillance de la biodiversité et de la santé des forêts vont de pair.
©Giada ConnestariJérôme observe une source d'eau à proximité du lieu de nidification. La cigogne noire se nourrit de chabots (poisson qui vit en eau courante), d'amphibiens et de batraciens qui préfèrent les ornières, les mares et les petites flaques d'eau en forêt. Cependant, en cas de saison sèche, les pontes d'amphibiens et des batraciens peinent à venir à terme, réduisant drastiquement la disponibilité de nourriture, mettant parfois en péril la survie des poussins.
©Giada ConnestariLéon et Jérôme remplissent et compilent les bordereaux de données. Ils seront envoyés au coordinateur national du programme de baguage qui se charge de les rentrer dans la base de données, partenaire de l'ONF sur cette opération. Les informations recueillies ont notamment pour objectif d'améliorer la connaissance de l’espèce pouvant mener ensuite à des préconisations de gestion : gestion de l’habitat et tranquillité à proximité des sites de reproduction en vue de soutenir et de pérenniser la dynamique de la population.
©Giada ConnestariNaturaliste et grimpeur réalisent ensemble, avec soin, les derniers gestes de la journée. Ils s'apprêtent à remonter les oisillons dans leur nid.
©Giada ConnestariLes cigogneaux sont sur le point d'être remontés jusqu'à leur nid grâce au dispositif mise en place par le grimpeur. Des forestiers de l'ONF sont venus assister à l'opération et tendent un filet de protection afin de protéger les oiseaux en cas de chute malencontreuse.
©Giada ConnestariVincent redescend après avoir reposé les cigogneaux dans leur nid, au terme de la mission de bagage essentielle à la surveillance de leur espèce.
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