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Le Jean Bart, un bateau né de la forêt

C’est grâce aux chênes centenaires de la forêt de Retz, à une sylviculture héritée de plusieurs générations de forestiers et aux techniques de construction du XVIIe siècle, que bâtir un vaisseau de la marine royale de Louis XIV est passé du rêve d’un homme… à la réalité.

 C’est à la suite de la découverte de six épaves de bateaux au large de Saint-Vaast-la-Hougue (Cotentin) dans les années 80 qu’est née l’idée de construire un navire de l’époque à taille réelle, avec les mêmes méthodes et matériaux qu’autrefois. Christian Cardin et l’association Tourville poursuivent ce rêve depuis lors, avec l’aide d’autres passionnés : les forestiers de l’ONF.

Une sylviculture ancienne au cœur de la construction

La construction du Jean Bart, réalisée, à partir de plans inédits du XVIIe, par l’association Tourville, nécessite une quantité conséquente de bois de chêne. Ces bois, sont difficiles à trouver, repérer et mobiliser car leurs dimensions doivent être importantes et leurs formes particulières pour devenir les pièces maîtresses du navire. C’est en forêt de Retz, récemment labellisée forêt d’exception®, que les charpentiers de la marine ont trouvé des chênes d’une qualité exceptionnelle propices à la construction du Jean Bart. Au total, la forêt et ses forestiers auront fourni plus d’une centaine de chênes aux caractéristiques recherchées.

Et si cela a été possible, c’est grâce à une sylviculture ancienne datant du Moyen-Age pratiquée par les forestiers : le taillis sous futaie (lire ci-dessous). Les arbres de futaie en forêt de Retz ont la particularité d’avoir des troncs courts, être « trapus », et pour certains, avoir une légère courbe. C'est dans les parcelles de Lysian Lefèvre, technicien forestier de la forêt de Retz, que ces arbres ont été trouvés. 

Beaucoup de « mes bois » sont partis sur ce chantier. J’ai pu me rendre également sur le chantier du Jean Bart pour le compte de l’ONF en juin 2021.

Lysian Lefèvre, Technicien forestier de la forêt de Retz

Ces critères étaient le saint Graal pour la construction du Jean Bart puisque pour quelques pièces du bateau, il est nécessaire de garder une courbure singulière et naturelle. Selon la taille, le diamètre ou les courbes, le tronc d’arbre d’un chêne n’aura pas la même utilité. Certains seront adaptés à la construction de la poupe, de l’étrave ou de la proue par exemple. C’est pourquoi, il est indispensable d’observer la « morphologie » de l’arbre pour en adapter son utilisation lors de la construction. Au cours de la période d’exploitation des bois façonnés par l’Office, l’association s’est rendue régulièrement sur les coupes signalées car certains chênes pouvaient présenter un intérêt pour la construction du Jean Bart.

Le choix des arbres s’est fait au cas par cas. Christian Cardin, guidé par un forestier, se rendait en forêt afin de regarder à l’œil nu quel tronc d’arbre pouvait servir à réaliser telle ou telle pièce du bateau.

Gaston Monory, Technicien forestier de la forêt de Retz

Avec pour seul repère le carnet de croquis de Colbert, cette cathédrale maritime nécessite des heures de travail et une maîtrise du bois parfaite pour atteindre des dimensions hors normes : 57 mètres de long, 15 mètres de large, 17 mètres de haut. Pour y arriver, il ne faudra pas moins de 3 600 chênes de 85 à 130 centimètres de diamètre. Ces mesures sont impressionnantes, mais rendues possibles grâce à la gestion sylvicole en taillis sous futaie qui a permis aux chênes de grandir et de grossir.

De l’ordonnance de Colbert aux forestiers d’aujourd’hui

Ce projet ambitieux permet de rappeler l’importance du temps long dans la gestion forestière et le rôle majeur qu’ont joué les décisions de Colbert pour les forêts françaises. L’Ordonnance royale de 1669 visait à protéger et restaurer la ressource en bois, notamment le chêne, pour la construction navale ; le code forestier actuel en est l’héritier direct. La construction du Jean Bart est ainsi un bel hommage rendu au travail des forestiers depuis des siècles.

Bien plus qu’un bateau, cette cathédrale maritime armée de 84 canons est un puits de savoir-faire. De la forêt à la pièce finale, Forgerons, menuisiers et charpentiers œuvrent à la restauration de ce patrimoine historique unique en France.

Finalement, de la mer à la terre, il n’y a qu’un pas ! 

Le taillis sous futaie

Il s’agit d’une régénération forestière mixte ; le peuplement est ainsi composé de deux étages :

  • l’étage inférieur : le taillis qui couvre une bonne part, sinon la totalité de la surface,
  • l’étage supérieur : la futaie, composée d’arbres d’âges gradués aux houppiers dispersés.

L’objectif de ce régime sylvicole est double : l’étage inférieur fournissait du bois de chauffage et d’industrie alors que, l’étage supérieur était destiné à la fourniture du bois d’œuvre.

Si le chêne est largement utilisé pour la construction du Jean Bart, c’est parce qu’il est connu pour son incroyable résistance à l’eau de mer et pour supporter très bien les charges et contraintes mécaniques.

©Laurent Rivière

Reportage sur la construction du Jean Bart