L’Aigoual, forêt de tous les extrêmes

La forêt domaniale de l’Aigoual a inspiré bien des écrivains : de Chamson à Dupont-Monod. Hêtres, sapins, châtaigniers, pins… Les essences y sont variées. L’Office national des forêts (ONF) vous conte l’histoire d’une Forêt d’Exception®, cévenole, marquée par les reboisements des terrains de montagne.

Cette "montagne à vache" n’est pas bien haute… Son point le plus élevé ? Le mont Aigoual, sur lequel se juche son Observatoire météo, culmine à 1567 mètres, loin derrière les Alpes (4 808 mètres) et les Pyrénées (3 404 mètres). Et pourtant… Le climat, très rude, y défie toute logique.

"La météo change vite ici. On passe de la pluie au grand soleil, de la brume à la neige. Sans oublier le vent, parfois insoutenable sur le sommet", prévient d’emblée Valère Marsaudon, responsable de l’unité territoriale Aigoual à l’ONF, notre guide pour la journée, qui garde une polaire dans sa voiture verte en toute saison.

Frottant sa barbe grisonnante, Valère énumère quelques moyennes, presque fier de l’effet "toujours impressionnant" qu’elles suscitent : de la pluie presque un jour sur deux ou encore plus d’un jour sur trois avec du gel. Sans oublier 241 jours de brouillard par an, un record mondial jusqu’en 2003 ! Le décor est posé.

Cette forêt se situe sur la ligne de partage des eaux. C’est-à-dire que les pluies de l’Aigoual alimentent les fleuves allant vers la Méditerranée et vers l’Atlantique à la fois. Aujourd’hui par chance, il fait beau. Sous nos pas, l’herbe dégorge de l’eau de pluie. Il y a eu un brusque orage la veille au soir, du brouillard aussi… en plein mois de juillet, pourtant très sec cette année.

Avec la brume, l’ambiance est superbe, presque mystérieuse. On a l’impression d’être hors du temps, de se perdre ‘’là-haut’’ .

Valère Marsaudon.

Pour Valère et plus de 200 000 visiteurs annuels, le charme de cette Forêt d’Exception®, située à cheval sur le Gard et la Lozère, a opéré. "Pour preuve, cela fait dix ans que j’y suis", s’amuse le forestier, originaire de Normandie.

Futaie irrégulière, essences mélangées… Une forêt mosaïque

Derrière ses lunettes rondes, ses yeux clairs observent la canopée : "Regardez. On a des ambiances forestières très variées. Notre chance, c’est que les essences sont très mélangées". En effet, l’Aigoual, c’est 40% de hêtres, 12% de sapins, 12% d’épicéas, 10% de pins noirs, de pins laricio et de pins à crochet. Les 26% restants ? Du mélèze et du douglas, ainsi que divers feuillus (châtaigniers…).

La régénération naturelle demeure quasi-totale. Dans le langage des forestiers, cela veut dire que l’ONF privilégie la germination naturelle des graines sous les grands arbres. "Nous plantons peu ici. Ces dix années nous avons réalisé trois petites plantations avec des douglas, des pins et des cèdres", compte-t-il.

Autre point fort : 50% du massif présentent des peuplements dits irréguliers. C’est-à-dire que des arbres d’âges différents se côtoient. "Au quotidien, nous visons les 100% en irrégulier. C’est plus respectueux de l’impact paysager lors des coupes", dit-il.

Ici, la résistance de la forêt au changement climatique s’avère plutôt bonne, malgré des sécheresses plus fréquentes et inquiétantes même dans cette contrée pluvieuse. "On ne sait pas ce que l’avenir nous réserve, il faut rester prudent, mais face à la hausse des températures, notre espoir, c’est cette diversité d’essences et de sylvicultures", témoigne Valère. Bref, la forêt de l’Aigoual illustre déjà le principe de la forêt mosaïque de l’Office national des forêts à l’échelle d’un massif.

Quelques chiffres-clés sur l’Aigoual…

L’arboretum du Puéchagut, témoin d’un reboisement mythique

Cette magnifique forêt est le fruit d’une histoire particulière initiée en 1860 : la restauration des terrains de montagne (RTM). Pour en témoigner, Valère nous mène à l’arboretum du Puéchagut, près de la maison des Cévennes.

"Parmi d’autres, cet arboretum a servi de laboratoire à ciel ouvert pour tester les essences à planter", résume le forestier. De sa voix posée, il nous raconte plus de 150 ans d’un reboisement mythique, comme si c’était hier, comme s’il en était l’héritier.

Un séquoia géant, l'une des essences testées à l'époque dans l'arboretum du Puechagut. - ©Teva Bourdin / ONF

Aigoual : quelques dates sur la RTM…

1750 – 1850
Les populations et l’industrie locale coupent du bois (bois de chauffage, construction, charbons, forges, fonderies…). En 1850, il ne reste que 2000 hectares de forêts sur l’Aigoual. Lors des épisodes cévenols (pluies d’automne), l’eau dévale, non retenue par les arbres, et détruit les habitations dans la vallée de l’Hérault. L’Etat doit intervenir.
1860
Première loi sur la restauration des terrains de montagne. Suivront deux autres en 1864 et 1882 ayant pour but de racheter les terres privées, puis de reboiser.
1874 – 1915
Rachat des terrains par l’Etat pour créer la forêt domaniale de l’Aigoual : 2/3 à l’amiable et 1/3 par expropriation. 78% de la forêt domaniale actuelle est créée durant cette période.
1874 – 1915
Le reboisement commence. Avec l’aide des habitants, le forestier Fabre replantent plus de 58 millions d’arbres sur 10 000 hectares. Les pâturages sont interdits pour protéger les domaniales.

A l’époque, les forestiers ont expérimenté entre 30 et 40 espèces à Puéchagut, en provenance d’Asie, d’Amérique du nord et du Moyen-Orient. Parmi les elles : 

  • des séquoias géants ;
  • des sapins méditerranéens ;
  • des cyprès de Lawson ;
  • des douglas ;
  • des mélèzes ;
  • des érables ;
  • ou encore des frênes.

Cet arboretum, suivi et étudié jusque dans les années soixante, n’est plus qu’un lieu de promenade aujourd’hui. Il demeure une relique vivante de cette épopée, racontée dans le film documentaire de Marc Khanne "L’Aigoual, la forêt retrouvée".

Avec Forêt d’Exception®, un nouveau sentier pour le public

Depuis février 2021, une nouvelle infrastructure touristique a vu le jour, le sentier pour tous du Puéchagut. Soit 450 mètres de chemins créées par l’ONF avec :

  • Un fil d’Ariane pour les aveugles et malvoyants ;
  • Des panneaux en relief et en braille ;
  • Du mobilier en bois pour se relaxer ;
  • Des mini-jeux pour reconnaître les essences et les oiseaux.

On y vient pour pique-niquer sur les tables et les chaises en bois, avec cette superbe vue et la table d’orientation.

Hélène, promeneuse.

Un 1er projet réalisé dans le cadre du label Forêt d’Exception® avec :

Une forêt… et des Hommes des bois

Nous reprenons la route, direction le col du Lingas, où un chantier forestier est en cours. Sur son engin forestier, Julien Charrière nous salue. Sur 14 hectares, cet entrepreneur forestier récolte des arbres abîmés et étêtés en mars dernier à la suite de fortes chutes de neige et des bourrasques de vent.

Priorité pour les forestiers ? Sécuriser la forêt pour les promeneurs et récolter le bois avant qu’il ne perde pas sa valeur. Ces bois se destinent à des entreprises de la région (qui représentent une centaine d’emplois) : bois de charpente, traverses, palette, coffrage ou bois de chauffage pour le hêtre.

Au sol, l’odeur de l’écorce et de la sève des épicéas prend au nez comme un bonbon des Vosges. Sous les résineux, l’herbe est verte, parsemée de cônes de pins et d’orties. Les jeunes pousses de hêtres et d’épicéas sont là, prêtes à prendre la relève. Sur cette parcelle, les arbres paraissent très branchus, souvent tordus, comme en lutte permanente contre les éléments. "C’est l’Aigoual", résume Julien.

Avec sa machine, ce dernier peut couper jusqu’à 120 mètres cubes de bois par jour. Soit 350 arbres environ. "On a énormément de boulot et c’est très difficile de recruter. On fait de gros horaires, c’est sûr, mais nos salaires sont bons", continue-t-il. Sur le massif, 1/3 des coupes sont mécanisées et 2/3 réalisées par des bûcherons.

3 idées reçues sur l’Aigoual…

  1. Vous plantez des arbres en monoculture ? FAUX ! 98% de la forêt se régénère naturellement avec une grande diversité d’essences. Les plantations ne viennent qu’en complément très occasionnel.
  2. Les branches que vous laissez au sol après une coupe, c’est sale ! FAUX ! Ces rémanents, c’est-à-dire ces petites branches de moins de 7 cm couvertes de feuilles, permettent de reminéraliser les sols et à la biodiversité de reprendre.
  3. Vous coupez trop d’arbres ? FAUX. En moyenne, la forêt de l’Aigoual pousse entre 4 et 5 m3 par hectare par an. Les forestiers de l’ONF, veillent sur l’ensemble du massif, à ne pas prélever plus que cet accroissement naturel.
©Quentin Ebrard

Ruines, zones humides, faune… Les trésors cachés de l’Aigoual

Le soleil approche de son zénith. Non loin du chantier, une grande ruine attire notre attention. Perdue en pleine forêt, cette bâtisse imposante illustre tout à fait ces vieilles fermes abandonnées qui se cachent en Cévennes. Elles sont le témoin de l’exode rural, de la déprise agricole et de la reconquête de la forêt sur les champs.

Elle était encore habitée jusqu’à la Seconde Guerre Mondiale. On y retrouve des arbres assez rares sur le massif, plantés par les paysans à l’époque, pour les vaches, les brebis et les cochons, comme ce frêne ou cet érable.

Valère Marsaudon.

Sur ces murs recouverts de mousses, on a envie de poser la main. Pourtant, gare aux vipères, animal protégé qui aime s’y réfugier. Dans la clairière autour chantent criquets et sauterelles, si forts, qu’on se croirait encerclés par des cigales.

©Teva Bourdin / ONF

Sur l’Aigoual, la biodiversité est riche : passereaux (pinsons des arbres, mésanges noires, rouges-gorges), pics noirs, chauves-souris, chouettes de Tengmalm et, depuis peu, chouettes Chevêchette, mulots, campagnols…

Juste devant cette ruine coule un petit ruisseau au milieu d’une prairie. On l’entend, mais on ne le voit pas. Soudain, notre photographe, Teva Bourdin, qui s’y est aventuré, revient penaud : "j’ai les pieds trempés !"

L’ONF protège ces zones humides : aucune circulation, aucune coupe. Parfois, nous rouvrons ces espaces qui ont tendance à se refermer.

Valère Marsaudon.

"C’est une zone humide, une tourbière", explique Valère, amusé. Ces zones demeurent essentielles pour la diversité biologique de la forêt. Des chardons, des joncs, des linaigrettes et des sphaignes poussent. Des oiseaux aux insectes, une faune riche y trouve refuge. Par exemple, cette grenouille rousse qui fuit à notre arrivée, peu habituée aux visites.

Le saviez-vous ? Comment Valère est devenu forestier…

Après un bac S, il a fait une prépa biologie, chimie, physique et sciences de la Terre (BCPST). Il a ensuite intégré, sur concours, l’école des ingénieurs forestiers à Nancy. Après quelques années en tant que fonctionnaire à la DREAL, il est rentré à l’ONF.

Comment devenir forestier aujourd’hui ? Rejoignez-nous.

Sur la pelouse sommitale de l'Aigoual

Fin de journée. Retour à l’Observatoire. Sur la pelouse sommitale de l’Aigoual, sorte de vaste prairie jaune et caillouteuse, quelques pins à crochets poussent, tordus par les vents, comme les mains d’une sorcière. Des vaches et des moutons paissent. Le vent souffle tellement que la végétation est buissonnante.

On s’imagine alors ces forestiers et météorologues ayant vécu l’hiver durant des décennies ici, la nuit, sous la tempête et la neige. Quand le vent souffle à tout rompre, que les volets de l’observatoire claquent… "On a l’impression d’être les derniers gardiens d’un phare", conclut Valère. On veut bien le croire.

Les lieux à ne pas manquer !

  • L’Observatoire du Mont Aigoual, construit entre 1887 et 1894, avec son exposition météorologique sur le changement climatique (en travaux, inauguration en 2023).
  • En hiver, la station de ski Alti Aigoual, à Prat Peyrot, accueille les amateurs de glisse, avec notamment de belles pistes de ski de fond.
  • Découvrez de nombreux sentiers de grande randonnée (GR), notamment le 3, 7 et 66. Renseignez-vous avec les cartes de l’IGN.
  • La maison de l’Aigoual, au col de la Serreyrède, pour acheter des produits locaux : miel, charcuterie, pâté…
  • Pour les plus sportifs : le sentier des 4 000 marches ! Mythique, ce dernier part de Valleraugue jusqu’au sommet de l’Aigoual. Renseignez-vous auprès de l’Office du tourisme de Valleraugue.
  • L’arboretum de l’Hort de Dieu. Sous l’observatoire, le botaniste Flahault a testé près de 140 espèces d’arbres en provenance du monde entier. Objectif ? Savoir que planter sur cette montagne aux conditions climatiques si extrêmes.
©ONF

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