Les horizons de la Montagne noire – ©Lucie Rondou / ONF

Forêt domaniale de la Montagne Noire : entre hêtres et ancêtres

Toute en lacs et en cascades, cette forêt du Tarn est idéale pour se rafraîchir. Tellement gorgée d’eau que Pierre-Paul Riquet l’a choisie pour alimenter le Canal du Midi qui coule 70 km plus bas ! Partez à la découverte de l’histoire de sa Rigole, des résistants de son maquis et de ses hêtraies blanches avec un forestier de l'Office national des forêts (ONF).

Elle a des airs de montagnarde et un parfum de garrigue. Au carrefour de la Méditerranée et de l’océan Atlantique, la forêt domaniale de la Montagne Noire ne manque pas de caractère. Pour s’y rendre depuis Castres, la D85 fend des vallons verdoyants. Ses 4 000 hectares et ses 1 000 mètres de dénivelé font la promesse de superbes points de vue.

À la maison forestière de la Toupinarié, Massaguel, les forestiers travaillent face à la montagne. Elle est ici entre de bonnes mains. Parmi eux, Damien Viguier est technicien forestier sur l’unité territoriale de la Montagne Noire à l'Office national des forêts (ONF).

Le Tarn, c’est son territoire et cette forêt, son terrain de jeu depuis toujours. "Depuis que je suis en âge de marcher, je vais en forêt ! Je suis fier de participer à sa préservation aujourd’hui". Raphaël, également forestier pour l’ONF, abonde : "On ne dit plus “garde forestier”mais j’aime l’idée que nous sommes les gardiens de la forêt, de sa biodiversité et de son histoire".

Noire comme le sapin, noire comme le charbon

Pour dresser le portrait de cette forêt, Damien Viguier nous conduit jusqu’au col du pas du Sant : un superbe point de vue sur le massif apparaît. Dans la vallée, les châtaigniers en fleurs apprécient les températures douces et sur les hauteurs campent les hêtraies-sapinières : "le must pour une forêt de moyenne montagne."

Ces deux-là cohabitent volontiers ensemble : le jeune hêtre, sensible à la lumière, pousse dans un premier temps à l’abri sous le sapin. Puis on récolte le sapin pour que le hêtre s’épanouisse. À son tour, il protège le sapin : ses branches abritent le sol de la lumière et empêchent ainsi le développement de graminées étouffantes.

C’est l’amitié de ces deux essences qui donnent une couleur sombre à cette forêt et qui offre à la montagne, une partie de son nom "Noire". Contrefort des Pyrénées, la Montagne Noire tire aussi son étymologie de sa position : plein Nord.

"Noire" comme sa densité forestière, "noire" comme l’ombre du versant Nord et "noire" comme le charbon ! En effet, la forêt abritait un site de production jusque dans les années 50.

D'ailleurs, la forêt garde de nombreuses traces de la présence de l’Homme depuis le Néolithique : grottes, chemins de transport du Moyen Âge, sentiers de transhumance, carrières d’extraction, forges, verreries… "On vit finalement une époque très calme pour cette forêt !" s’amuse le forestier.

Le maquis de la Montagne Noire : un refuge pour les héros

La camionnette de l'ONF repart et serpente sur les routes en épingle du massif, très appréciées des cyclistes.  Au carrefour de la vallée du Sant et de la vallée du Bernazobre, la vue se dégage à nouveau, cette-fois ci vers la vallée : un emplacement très stratégique pendant la Seconde Guerre mondiale pour le Corps-Franc de la Montagne Noire.

"Les résistants se postaient ici pour garder le maquis, raconte Damien Viguier. Le 14 juillet 1944, ils ont défié les forces allemandes et sont descendus défiler dans la ville de Revel alors que la fête nationale était interdite."

Ces 900 maquisards - tués pour beaucoup pendant la guerre - étaient répartis sur toute la Montagne Noire. Sur le site de Plo del May, des traces du camp du même nom sont encore visibles. Au monument ossuaire de Fontbruno, une croix de Lorraine leur rend hommage : chacune de ses branches indique le nom d’un camp et sa direction.

À la source du canal du midi : les eaux domptées de la Rigole

L’air rafraîchit encore un peu et la camionnette s’enfonce au cœur du massif à 700 mètres d’altitude où se situe son plus grand trésor : la prise d’Alzeau, le point de départ de la Rigole du Canal du Midi.

Construire un canal pour connecter l’Atlantique à la Méditerranée ? C’est le pari fou de Pierre-Paul Riquet au XVIIe siècle. "Ici, en l’an 1665, Pierre-Paul Riquet s’empare des eaux de la Montagne Noire et résout le problème de la jonction des deux mers", indique une stèle en pierre sur le site historique. 15 ans plus tard : des barques chargées de marchandises passaient de l’océan à la Méditerranée.

Depuis trois siècles, plusieurs lacs ont été creusés pour alimenter le Canal et toute la région en eau :  le Lampy, le lac de Saint-Ferréol (tous deux baignables), puis le lac de la Galaube, achevé en 2001 pour sécuriser l’arrivée en eau.

La Rigole est aujourd’hui classée au patrimoine mondial de l’Unesco. Avis aux promeneurs en quête de bucolique : le sentier le long de la Rigole (GR®7) mène 70 km plus bas à Villefranche-de-Lauragais, la première étape du canal du Midi.

La Montagne Noire : un château d’eau naturel

Pierre Paul Riquet n’a pas choisi cette forêt au hasard. Des cascades de Mouscalillous aux ruisseaux de l’Alzeau, l’eau est omniprésente dans cette forêt et l’humidité… palpable ! "C’est la forêt qui se crée pour elle-même ce microclimat", commente le forestier. Comme les humains, les arbres transpirent pour se rafraîchir : un hêtre adulte peut évaporer 500 litres d’eau par jour au mois d'août !

Sans le travail des arbres, pas de canal du Midi non plus : les branches des feuillus ralentissent le ruissellement de l’eau de pluie qui s’infiltre mieux dans le sol. Pour eux, c’est l’assurance d’une réserve hydrique continue et pour le canal, une source d’eau fiable !

Le coin préféré du forestier en Montagne Noire

©Lucie Rondou / ONF

Sylviculture : de générations en régénérations

Si la forêt est noire, ici le "fayard" est blanc. Au cœur de Ramondens, une parcelle de hêtres, appelé fayard par ici, en régénération naturelle a été "grattée" pour aider les faines à se faufiler sous la couche d'humus forestier. Le résultat est là : les hêtres ont vu le jour. 

De l’autre côté des chemins, une futaie de hêtres grandioses, ils ont 150 ans. "C’est la première génération de hêtres en futaie et c’est la grande fierté des anciens !". Les "anciens", ce sont les forestiers qui ont transmis à Damien Viguier leur savoir-faire avant de partir à la retraite.

Car passer d’une technique de taillis sous futaie (d'une moins bonne qualité de bois car l’arbre peut être exposé plus brutalement à la lumière) aux futaies est le fruit d’un travail patient. "La sylviculture (la gestion des forêts) n’est pas une science exacte, explique Damien Viguier, il faut ajuster en permanence, parfois d’une parcelle à l’autre !".

Particulièrement appréciés en menuiserie, ces hêtres blancs sont classés "porte-graine" : tous les 4 à 5 ans, les forestiers récoltent leurs faines pour qu’elles soient plantées dans le Massif Central.

Une biodiversité puissante préservée par les forestiers

Direction Labruguière sur le canton de Cayroulet où une large route forestière traverse une sapinière. Sur le bord de la route, des billots de différentes tailles attendent d’être retirés. Ici, l’ONF pratique la coupe de bois façonné.

Vous avez dit "bois façonné" ? Meubles, papier, charpentes, tonneaux, bois de chauffage, jouets : dans les 400 entreprises du Tarn partenaires de la forêt, le bois prend des formes bien différentes ! Le bois façonné permet de maîtriser la commercialisation et d’approvisionner la filière locale. Ces partenariats assurent une régularité des échanges, des prix régulés, une pérennité de l’emploi pour ces entreprises et la réduction des transports.

Cette arbre est marqué en bleu car il abrite une biodiversité riche - ©Lucie Rondou / ONF

Certains arbres sont marqués en bleu : "ils sont conservés pour la biodiversité", précise le forestier. Par exemple, la présence de champignons lignivores sur l’arbre indique qu’il est creux et que de nombreux insectes s’en nourrissent. "C’est l'équilibre écologique tout entier qui en dépend : de l’insecte au grand prédateur en passant par les oiseaux."

Dans un autre, des abeilles avaient établi leur ruche, les forestiers ont pris le soin de la déplacer. Grâce à ces efforts, les grands prédateurs sont aujourd’hui de retour en forêt. Si le  retour du loup est timide, le chat sauvage, lui, prospère : "c’est bon signe !". Encore une fois, les forestiers veillent, appliquant ainsi le précepte selon lequel : "on ne commande à la nature qu'en lui obéissant…"

Deux lieux insolites à découvrir

●       La cabane de pisciculture royale

Dans le canton de Ramondens, rendez-vous sur le GR®7 au niveau de la cabane de la pisciculture. Réaménagée par l’ONF et idéale pour une pause pique-nique, cette cabane abritait au XVIIIe siècle un site d’élevage de la truite sauvage. À l’automne, c’est un coin à champignons !

●       Le canton de la peur

En bordure de la Bergnassonne, allez sur la parcelle 184 au pied de “l’arbre des pendus” : vous y admirerez un hêtre de 300 ans ! Le GR®7 sillonne ici entre des parcelles de test d’essences adaptés au climat et de gigantesques Douglas de 30 mètres de haut !

La forêt de la Montagne Noire en chiffres

Essence principale
Hêtre
pour 15%
Essence secondaire
Châtaignier
pour 15%

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