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L’étoile de Suchemont en forêt de Raismes-Saint-Amand-Wallers

L’Office national des forêts (ONF) vous propose une plongée dans les territoires forestiers où se déroulent les séances plein air de Branche & Ciné depuis 2018. Ici, découvrez le site de projection choisi en forêt de Raismes-Saint-Amand-Wallers (Nord).

Si les paysages sont les fruits de sociétés s’inscrivant dans l’espace et sont faits de mémoires qui se sédimentent, la forêt de Raismes-Saint-Amand-Wallers en est un vivant exemple. Ses 5 000 hectares s’étendent à environ 40 km du sud de Lille. En ses limites sud, le tissu urbain de l’ancien bassin minier de l’agglomération valenciennoise s’immisce le long de ses lisières d’où émerge un chapelet monumental de terrils hirsutes, points culminants de la plaine de l’Escaut.

Raismes-Saint-Amand-Wallers, quel nom curieux, parfois remplacé par l’acronyme RSWA, c’est plus court, mais c’est aussi évocateur qu’un code crypté... En réalité, il s’agit d’un massif forestier constitué de trois forêts que le cours de l’histoire a peu à peu assemblées.

Sur le terril T171, dit de La mare à Goriaux - ©Sophie Meyrier / ONF

Les vents d’Europe du Nord arrivent parfois jusqu’ici, et les allées s’appellent des drèves. Du nord au sud-est du massif, la drève de Suchemont relie les thermes de Saint-Amand-les-Eaux, à la cité ouvrière du Pinson, classée au patrimoine mondial de l’Unesco. Presque à mi-chemin, se trouve le carrefour de l’étoile de Suchemont qui, depuis 2020, accueille les projections nocturnes du festival Branche & Ciné.

En cœur de forêt et en retrait des itinéraires balisés, cette étoile se trouve aux limites nord-est d’une constellation dont la rayonnante étoile de Cernay marque le centre. Une branche de l’étoile de Suchemont, que le temps avait effacée, a été récemment redessinée afin d’accueillir des expositions temporaires de grumes.

Le saviez-vous ?

Les carrefours en étoile caractérisent les grands domaines forestiers des XVIIe et XVIIIe siècles. S’y arriment les perspectives d’avenues permettant de joindre rapidement un lieu à un autre. Ce maillage, a priori destiné à la chasse, permettait aussi une gestion forestière plus efficace.

Un site historique et cinématographique

La guerre de 1939-1945 n’impacta pas cette forêt. Peu de traces, si ce n’est quelques trous de bombes, aujourd’hui des mares où batifole une faune aquatique protégée. Mais, non loin de l’étoile de Suchemont, en suivant la drève Notre-Dame, se trouvent quelques vestiges de la ligne Maginot, alors que les envahisseurs du moment faisaient un détour par la Belgique. L’alignement de quelques blockhaus longe une voie gallo-romaine, dite chaussée de Brunehaut, reine de légende un peu sorcière.

Ce n’est pas Brunehaut que Kirikou affronte dans le film d’animation de Michel Ocelot "Kirikou et la sorcière" (1988), inspiré de légendes de l’Afrique de l’Ouest, qui fut projeté à l’étoile de Suchemont lors du festival de 2021. "La forêt de mon père" (2020), film de la réalisatrice belge Véro Cratzborn, fut tourné en forêt de Raismes-Saint-Amand-Wallers et ses abords.

En 2020, il y est projeté en avant-première et en très petit comité, pandémie oblige. Ce film montre un aspect non négligeable de la forêt. Poumon vert d’une région pauvre en espaces boisés, elle est aussi un lieu d’imaginaire et d’évasion pour une grande partie de la population. Celle dont la fin du mois commence souvent le premier.

Le Terril du Lavoir Rousseau et la forêt de Raismes-St-Amand, 2012 : tel un antique vestige émergeant d’une canopée lointaine, tumulus funéraire d’un "Géant du Nord", le terril tabulaire T176, dit du Lavoir Rousseau. - ©Benoît Sauvage

Le site minier de Wallers-Aremberg, classé depuis au titre des monuments historiques, servit de décors au film "Germinal" de Claude Berri (1992). Une adaptation du roman d’Emile Zola, où le chanteur Renaud joue un Lantier désenchanté. A deux pas se trouve la drève des Boules d’Hérin, ou tranchée d’Aremberg, traversée par un pont minier. C’est un passage dorénavant mythique d’une course cycliste légendaire, le Paris-Roubaix, dit aussi "l’enfer du Nord".

Si la première course de ce "monument sportif" date de 1898, c’est un coureur local, Jean Stablinski, qui, en 1968, proposa cette étape. Ne soyez pas surpris par ce patronyme, après l’hémorragie humaine de 14-18, l’industrie minière attira nombre d’immigrants d’Europe centrale. Non loin de la citée du Pinson, à deux pas de la forêt, un vent d’Est a déposé une église polonaise en bois.

Une nouvelle silhouette

C’est dans la première moitié du XVIIIe siècle, que commença une - timide - exploitation du sous-sol. Elle prit de l’ampleur un siècle plus tard pour culminer dans les années 1950 et s’éteindre peu à peu jusqu’en en 1989. Le patrimoine forestier fut largement mis à contribution pour étayer des galeries, qui parfois s’effondraient, engloutissant les mineurs.

C’est aussi au XVIIIe siècle que la régularité des jardins classiques, dits aussi jardins à la française, fut bousculée par une mode venue d’outre-manche, le jardin irrégulier. La nature y était évoquée en de savantes compositions et travaux parfois titanesques, certains y laissèrent leur peau. Une des thématiques de ce style de jardins était la "promenade sublime". Il s’agissait de frissonner de peur, ou d’émerveillement, le long d’un parcours, souvent escarpé, évoquant contrées exotiques et lieux insolites. En un temps plus long, l’industrie minière a aussi chamboulé géomorphologie et paysages. Les rebus extraits du sous-sols devinrent des montagnes.

La forêt de Raismes-Saint-Amand-Wallers et les horizons de la plaine de l’Escaut, vus depuis le terril T176, dit du Lavoir Rousseau - ©Sophie Meyrier / ONF

Puis, une fois abandonnées, les galeries s’affaissèrent peu à peu en des paysages lacustres reflétant les pentes boisées des terrils. Le Nord a aussi ses monts Fuji... Sur les sols noirs se détachent la blancheur des bouleaux et l’ambre doré de leur feuillage automnal, la silhouette graphique de pins sylvestres, ou encore le voile printanier vert pâle de chênes mêlés de charmes. Que ce soit boisements clair ou milieux forestiers denses, landes ou milieux humides, faune et flore ont investi l’étonnante diversité de ces biotopes dorénavant protégés.

Ici ce ne sont pas châteaux, grands domaines, parcs ou paysages d’histoire de l’art, qui sont classés et protégés, mais les traces du labeur des hommes, muées en "paysages sublimes de l’anthropocène". Labeur qui, du siècle des Lumières aux Trente glorieuses, bâtit une Europe industrielle d’acier et d’airain… pour parfois le pire… mais le meilleur aussi… Pourvu que la fête continue.

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