Réserve biologique intégrale du Vercors
La réserve biologique intégrale du Vercors se trouve au sud-est de ce grand massif calcaire des Alpes externes. Elle s'étend de la retombée ouest des hauts-plateaux jusqu'à la crête du rebord oriental du Vercors, sur plus de 1200 m de dénivelé (860 à 2090 m). C'est une des trois plus grandes RBI de France métropolitaine, et de loin la plus grande en montagne.
La RBI fait partie du Parc naturel régional du Vercors. Elle est concernée par la ZNIEFF de type 1 "Plateaux et bordure occidentale des hauts plateaux du Vercors", incluse dans la ZNIEFF de type 2 "Hauts plateaux du Vercors". Elle fait aussi partie de la ZSC "Landes, pelouses, forêts remarquables et habitats rocheux des Hauts Plateaux et de la bordure orientale du Vercors" et de la ZPS "Hauts plateaux du Vercors".
La RBI du Vercors a par ailleurs la particularité de se superposer en partie à la réserve naturelle nationale des Hauts plateaux du Vercors. Au sein de cette immense RNN (17 030 ha, la plus grande de l'Hexagone), aux statuts fonciers et aux enjeux patrimoniaux et de gestion très variés (de la gestion sylvo-pastorale des pré-bois à la conservation de vieilles forêts), la RBI apporte un supplément de "cœur" de libre évolution à une partie importante de la forêt domaniale. Elle complète aussi la RNN en descendant dans la vallée de la Vernaison pour couvrir une plus grande amplitude altitudinale et diversité d'habitats naturels.
Histoire
Sous l'Ancien régime, l'actuelle forêt domaniale du Vercors était propriété de seigneurs et de l'évêque de Die, mais elle était l'objet d'importants droits d'usage accordés aux habitants : bois de construction et de chauffage (et charbon de bois) pour les besoins domestiques mais aussi pour le commerce, pâturage. Au début du XVIIIe siècle, la forêt était très dégradée, surexploitée et surpâturée, et avait subi des incendies sur plus de 3 000 ha.
A la Révolution, l'Etat devient propriétaire. En 1845, les droits d'usage sont cantonnés, avec le partage de la forêt entre une partie domaniale (dont ils sont exclus) et plusieurs forêts communales. L'administration forestière aménage la domaniale en y créant les premières routes forestières.
En sus de cette partie historique de la RBI (1 179 ha), l'Etat a acheté en 1923 le tènement du Play, au nord de la réserve, après des coupes abusives pendant la Première Guerre mondiale. Et ce n'est qu'en 1977 qu'il a acquis le canton de Tiolache, à l'est, qui avait pendant très longtemps été consacré à l'exploitation pastorale plutôt que forestière. L'historique du site est donc très contrasté.
Globalement, la RBI du Vercors est constituée de forêt ancienne, apparaissant déjà à l'état boisé sur les cartes il y a plus de deux siècles. Mais elle a connu un historique d'activités humaines qui l'ont affectée sur des surfaces importantes (exploitation de la forêt, pastoralisme, incendies). Toutefois, la gestion de la forêt domaniale a été très conservatoire au cours du XXe siècle, au point que les 2/3 environ des peuplements n'ont plus été exploités depuis 50 ans voire bien plus et peuvent donc être considérés comme subnaturels. L'ancienneté de la forêt et la persistance de zones à maturité élevée ont permis le maintien d’une biodiversité peu érodée.
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Géologie - Pédologie
La RBI du Vercors repose entièrement sur les calcaires de l'Urgonien (étages de l’Aptien et du Barrémien, Crétacé inférieur), d’origine corallienne, massifs et très purs. Ce socle calcaire homogène est limité à l’ouest par des escarpements donnant sur la vallée synclinale de la Vernaison, et à l’est par une barre rocheuse vertigineuse de près de 1 000 m surplombant le Trièves.
En dépit de leur apparente homogénéité, les hauts-plateaux ont un relief tourmenté marqué par les formes de l’érosion karstique : lapiaz, dolines et gouffres, vallons encaissés. Une conséquence de ce caractère karstique est l’absence totale de circulation d’eau en surface et la très grande rareté des sources. Sur le versant de la Vernaison et celui de le crête orientale, les formations d'éboulis sont développées.
Les calcaires durs libèrent par dissolution de faibles quantités d’argiles et de limons de décarbonatation. Sur les dalles de lapiaz, le sol est souvent constitué d’une épaisse couche d'humus reposant directement sur la roche, sensible au dessèchement et se décomposant mal, et portant une flore acidiphile contrastant avec le substrat calcaire. L'Epicéa et le Pin à crochets sont les arbres les mieux adaptés à ces contraintes. Dans les fentes des lapiaz et autres creux du relief, ainsi que sur les versants, on trouve des sols plus riches en éléments minéraux allant de rendzines carbonatées et superficielles, jusqu'à des sols bruns profonds. Ils sont plus favorables au Sapin, au Hêtre et à l'Erable sycomore.
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Milieux naturels
L'ampleur de l'étagement altitudinal, depuis l'étage collinéen jusqu'au subalpin, est une caractéristique marquante de la RBI du Vercors. Combinée aux variations édaphiques et d'exposition, il en résulte une remarquable diversité des habitats naturels, très représentatifs des hauts plateaux du Vercors et plus généralement des Préalpes du Nord.
Le versant de la Vernaison est le domaine des hêtraies (-sapinières) neutrophile (CB : 41.13 - N2000 : 9130) ou calcicole sèche (41.16 - 9150), ainsi que de la chênaie pubescente (41.71) dans les zones les plus chaudes et de tillaies-érablaies sur éboulis (41.4 - 9180*). Le haut-plateau est couvert d'une mosaïque de hêtraie-sapinière et de pessières (42.21 - 9410). En limite supérieure de la forêt, ce sont les pineraies de Pins à crochets, les plus vastes des Préalpes calcaires, qui façonnent le paysage (42.42 - 9430*).
Les milieux ouverts sont bien représentés, surtout dans la partie supérieure de la réserve, où ils deviennent exclusifs : buxaies collinéennes et montagnardes (31.82 - 5110), pelouses et prairies sèches à Brome ou Seslérie (34.3 – 6210*), pelouses calcaires karstiques (34.11 – 6110*), pelouses à Nard (36.31 – 6230), pelouses alpines (36.4 – 6170), éboulis à flore montagnarde (61.2 – 8120) ou à affinités méditerranéennes (61.3 – 8130), groupements de falaises (62.1 - 8210).
sur la partie basse de la RBI exposée à l'ouest
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en évolution naturelle bloquée depuis plusieurs décennies par le microclimat
©ONFau fond, le Grand Veymont et le mont Aiguille
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La grande variabilité des milieux se traduit par une grande diversité floristique : plus de 510 espèces de la flore vasculaire ont été observées sur la RBI, dont de nombreuses espèces remarquables, majoritairement associées aux milieux ouverts. 4 espèces sont protégées au niveau national : Sabot de Vénus (DH2 et 4), Androsace pubescente, Berce naine et Primevère Oreille d'ours. 6 espèces sont protégées au niveau régional : Sabline pourprée, Daphné camélée, Œillet de Grenoble, Peucédan à feuilles de Carvi, Raiponce de Charmeil, Trochiscanthe nodiflore et Valériane des débris.
Des inventaire des bryophytes et des lichens ont été réalisés dans la RBI en 2018 et 2019. La Buxbaumie verte (DH2, PN) est une mousse pionnière qui se développe sur le bois mort au sol, en situation ombragée. Le Lichen pulmonaire est une espèce emblématique, même si pas la plus rare parmi les lichens ; il est particulièrement abondant sur tout le plateau du Vercors, on l’observe sur Erable sycomore et plus rarement sur Hêtre.
Un inventaire des champignons lignicoles a été réalisé par le réseau Mycologie de l'ONF de 2015 à 2017. 304 espèces ont été trouvées, ce qui est élevé, dont 26 considérées comme patrimoniales.
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Faune
A l'issue de trois années d'échantillonnage des coléoptères saproxyliques par le réseau Entomologie de l'ONF (2012-2014), 230 espèces ont été identifiées, dont 47 considérées comme indicatrices de la valeur biologique des forêts françaises, ce qui confère à la RBI du Vercors un intérêt de niveau national.
La réserve est peu propice aux amphibiens, du fait de la rareté des points d’eau. En revanche, l’abondance de milieux secs et chauds et la mosaïque de végétation sont favorables à plusieurs espèces de reptiles, du Lézard vert à affinités méridionales jusqu'au Lézard vivipare montagnard.
Des forêts âgées aux pelouses et falaises, l’avifaune est très diversifiée. Un inventaire réalisé par le réseau Avifaune de l'ONF de 2022 à 2024 a mis en évidence 76 espèces dont 72 nicheuses, parmi lesquelles 13 inscrites à l'annexe 1 de la directive Oiseaux : Gélinotte des bois, Tétras lyre, Lagopède alpin, Perdrix bartavelle, Pic noir et petites chouettes de montagne nichant dans ses cavités (Chouette de Tengmalm, Chevêchette d'Europe), rapaces diurnes forestiers ou rupestres (Bondrée apivore, Circaète Jean-le-Blanc, Aigle royal, Vautour fauve, Gypaète barbu), Crave à bec rouge.
19 espèces de chiroptères (sur 30 connues en Rhône-Alpes) ont été inventoriées de manière certaine par le réseau Mammifères de l'ONF en 2015-2016, ce qui représente une richesse spécifique très élevée. Trois espèces sont inscrites à l'annexe 2 de le directive habitats : Murin à oreilles échancrées, Grand Murin, Petit Murin. La RBI est utilisée comme terrain de chasse pour la plupart des espèces, mais aussi comme zone de transit, et certaines doivent s’y reproduire dans des gîtes arboricoles voire souterrains.
Quatre espèces d'ongulés sauvages sont présentes dans la RBI, des parties basses jusqu'aux plus hauts sommets : Sanglier, Chevreuil, Cerf, Chamois et Bouquetin. Deux grands prédateurs, le Loup et le Lynx, fréquentent aussi la réserve.
©Jacques L'Huillier / ONF
©Henri-Pierre Savier / ONF
©Aurore Balint / ONF
Gestion
Espace avant tout consacré à la libre évolution des milieux naturels et aux suivis scientifiques, la RBI du Vercors a été l'objet d'un nombre particulièrement élevé d'études depuis sa création : description et suivi des peuplements forestiers, flore vasculaire, bryophytes, champignons, lichens, coléoptères saproxyliques, oiseaux, micromammifères.
La réserve fait partie de la cinquantaine de RBI sur lesquelles l'ONF déploie depuis 2023 un programme de surveillance de la biodiversité forestière.
La RBI du Vercors étant aussi un vaste espace naturel fréquenté, l'information et la sensibilisation du public représentent un volet important de la gestion, en collaboration avec le PNR et la RNN des Hauts Plateaux. La RBI est traversée du nord au sud par le GR®91, également emprunté en hiver comme itinéraire de ski nordique. Sur chemins, la réserve est aussi traversée par la Grande traversée du Vercors à VTT ou à cheval. Plusieurs autres sentiers de randonnée pédestre empruntent des chemins forestiers. Ces divers itinéraires balisés sont à privilégier pour la libre découverte de la RBI, pour préserver la quiétude de la faune et aussi pour la sécurité des visiteurs, sur un terrain labyrinthique et que le karst peut rendre dangereux.