Réserve biologique intégrale de Saint-Pé-de-Bigorre
La réserve biologique intégrale de Saint-Pé-de-Bigorre, la plus grande d’Occitanie, fait partie de la forêt domaniale indivise éponyme, qui est une propriété conjointe de la commune de Saint-Pé-de-Bigorre et de l’État. Située sur les premiers reliefs du massif pyrénéen, de part et d'autre de la vallée du Gave de Pau, elle se trouve à une dizaine de kilomètres à l’ouest de Lourdes.
La RBI se trouve dans le canton de Tres Crouts ("Les trois croix") au sud de Saint-Pé-de-Bigorre. Le massif est entaillé par deux profondes vallées principales, les génies, formées par les ruisseaux de la Génie Longue et de la Génie Braque, dont les versants, eux-mêmes découpés par des vallons plus modestes, peuvent être très abrupts. La présence de gorges, de falaises et de pentes atteignant jusqu'à 90 %, a toujours constitué un obstacle majeur à l’équipement et à l'exploitation de la forêt.
La RBI est concernée en totalité par la ZNIEFF de type 1 "Forêt de Tres Crouts, Lourdes, Ségus et Le Béout", elle-même incluse dans la ZNIEFF de type 2 "Massifs calcaires de l’Estibète, du Granquet et du Pibeste, forêt de Tres Crouts, vallée du Bergons et crête". La RBI est incluse dans la ZSC "Granquet, Pibeste et Soum d’Ech" et dans la RNR du Pibeste-Aoulhet, au sein de laquelle elle constitue un cœur de libre évolution forestière et de protection forte pérenne.
Histoire
Millénaire, la forêt de Saint-Pé-de-Bigorre a une riche histoire, retracée dès Gaston VIII, vicomte de Béarn et héritier de la famille de Fébus. Une histoire également marquée par des conflits entre ses propriétaires successifs (les Bénédictins en 1281 puis l’État en 1791) et les usagers locaux, dont les droits furent longtemps ignorés. En 1812, la commune de Saint-Pé-de-Bigorre fut reconnue copropriétaire de la forêt avec l’Etat.
Trois grandes périodes d'exploitation forestière ont marqué le massif de Tres Crouts où se situe la réserve. D'abord, une surexploitation par les charbonniers à la fin du XVIIIe et au début du XIXe siècle, avec des coupes rases ou laissant des hêtres espacés de 15 mètres. Entre 1956 et 1961, une exploitation du bois par tri-câble et "câble lasso" est mise en place dans certaines parcelles. Enfin, depuis plus de 50 ans, presque aucune exploitation n’a eu lieu en raison de l’absence de pistes ou de routes.
Géologie - Pédologie
Le massif de Saint-Pé-de-Bigorre appartient à la zone nord-pyrénéenne. Il est constitué de terrains de l'ère secondaire (du Trias au Crétacé) fortement plissés avec un peu de flysch en limite inférieure. Les principales roches constitutives sont des calcaires, des dolomies, des brèches et des marnes, qui peuvent disparaître sous un placage morainique ou d’éboulis.
La nature essentiellement calcaire de la roche mère, son orogénie particulière, expliquent que le massif de Saint-Pé-de-Bigorre soit parcouru par un important réseau karstique. L'eau de pluie a dissous et érodé les terrains calcaires et entraîné la création de très nombreux gouffres, trous, grottes et dolines de dimensions variables, qui parsèment l'ensemble du massif et dont une grande partie reste vraisemblablement à découvrir. On a recensé environ 800 cavités dans le massif des Tres Crouts, ce qui ne représenterait que 20 % des vides de ce massif, selon les estimations des spéléologues.
Sous le couvert forestier, les sols sont plus ou moins profonds en fonction de la situation sur le relief et de la pente. Les affleurements rocheux sont très fréquents. Globalement, les sols vont de sols squelettiques très peu évolués (hauts de pentes, secteurs pentus et érodés) à des sols profonds et très fertiles (bas de pentes, anfractuosités).
Milieux naturels
Du fait du gradient altitudinal, la RBI de Saint-Pé-de-Bigorre présente deux étages bioclimatiques : l’étage collinéen et le montagnard.
Le site est constitué principalement d’habitats forestiers, représentant à la fois la plus grande surface de la réserve et son intérêt principal. Il s'agit majoritairement de hêtraies neutrophiles à calcicoles à Hellébore vert et à Buis (CB : 41.14) qui sont globalement dans un bon état de conservation, même si elles portent encore la marque des exploitations passées.
Les génies hébergent un complexe d’habitats très original, associant sources tufeuses (54.12 - N2000 : 7220*), torrents intraforestiers, tillaies de ravins à Orme des montagnes (CB : 41.4 – N2000 : 9180*) et hêtraie hygrosciaphile, avec des cortèges d’espèces très particuliers.
Le sous-étage de Buis, qui peut être très dense sous la hêtraie ou la tillaie, a subi un très fort dépérissement à cause d'une maladie cryptogamique importée.
Le complexe d'habitats naturels est complété par les parois calcaires (62.12 - 8210) et les grottes (65.4 - 8310), et par de petites zones de pelouses à Brachypode (34.32 - 6210) ou de mégaphorbiaies humides (37.7 et 37.8 - 6430).
Flore et fonge
La flore vasculaire de la RBI est essentiellement composée d'espèces communes, typiques des habitats naturels présents.
En revanche, la richesse de la bryoflore et de la fonge atteste du caractère de forêt ancienne, issue d'une longue continuité historique, et du potentiel de renaturation des habitats forestiers, même si le niveau de naturalité des peuplements est encore moyen du fait des fortes exploitations passées.
Les inventaires réalisés par le réseau Habitats-Flore de l’ONF, l’association Nature Midi-Pyrénées et le Groupe d'étude des vieilles forêts pyrénéennes (GEVFP) ont mis en évidence une grande abondance et diversité de bryophytes, avec plusieurs espèces remarquables dont deux protégées, la Buxbaumie verte et l'Orthotric de Roger (DH4).
La situation confinée, en fond de vallée orientée au nord, avec une très forte hygrométrie favorisée par l’encaissement et la présence de torrents, est particulièrement favorable aux lichens. Ainsi, la hêtraie de la Génie Longue, étudiée par le GEVFP, présente un pourcentage d’espèces indicatrices de continuité écologique d’environ 60%, dont cinq espèces rares ou très rares. Un inventaire conduit en 2022 par l’ONF confirme le caractère exceptionnel du site : 10 espèces d’intérêt national et 5 espèces d’intérêt international ont été trouvées, pour un total de 135 espèces identifiées.
Une étude des champignons par le Conservatoire botanique national du Massif pyrénéen (CBNMP) en 2008 atteste que les génies de la RBI de Saint-Pé-de-Bigorre constituent un site mycologique remarquable, abritant de nombreuses espèces rares à très rares et des communautés fongiques originales et très diversifiées. Les communautés saprotrophes humicoles représentent la grande originalité du site, notamment sous les buxaies denses.
Faune
Les inventaires des coléoptères saproxyliques réalisés par le GEVFP et l'ONF ont révélé relativement peu d'espèces remarquables, en lien avec le fait que la forêt n'ait pas encore retrouvé son plein potentiel de naturalité. En revanche, la richesse en Syrphes situe la RBI parmi les plus remarquables des sites étudiés par le GEVFP.
L’intérêt croissant des peuplements est également exprimé par les cortèges d’oiseaux cavicoles et de chiroptères.
Les chauves-souris peuvent aussi trouver un milieu favorable pour l’hivernation et la reproduction dans les nombreuses grottes et gouffres. Six espèces sont inscrites à l’annexe 2 de la directive Habitats : Petit rhinolophe, Grand rhinolophe, Grand murin, Murin à oreilles échancrées, Barbastelle, et Minioptère de Schreibers.
Plus d'une quarantaine d'espèces d'oiseaux ont été contactées dans la RBI, dont au moins 11 inscrites l'annexe 1 de la directive Oiseaux : espèces cavicoles (Pic mar, Pic noir), rapaces forestiers ou rupestres dont certains sont nicheurs dans la réserve ou à proximité, le canton de Tres Crouts étant une zone de quiétude remarquable : Aigle botté, Bondrée apivore, Busard Saint-Martin, Faucon pèlerin, Gypaète barbu, Milan noir, Milan royal, Percnoptère d'Egypte, Vautour fauve.
Les vertébrés aquatiques emblématiques ne sont pas en reste, avec le Desman des Pyrénées (PN, DH2 et 4) et le Calotriton (ou Euprocte) des Pyrénées (PN, DH 4), deux espèces endémiques pour lesquelles les génies constituent un habitat remarquablement préservé par l’environnement forestier non perturbé, gage de qualité des eaux et des écosystèmes aquatiques.
Gestion
Les objectifs principaux de la RBI de Saint-Pé-de-Bigorre sont la libre évolution des écosystèmes forestiers, ainsi que la préservation et développement des richesses floristiques, faunistiques et fongiques associées aux milieux forestiers mûrs et à tous les stades de leur dynamique naturelle.
Comme pour toute RBI, la gestion consiste principalement en des études (flore, fonge, faune, description et suivi des peuplements forestiers) dans la continuité des études déjà nombreuses réalisées en vue de la création de la réserve. Une étude particulière de cartographie et de suivi des tillaies des génies a été mise en place dans le cadre de Natura 2000, associant le SIVU, animateur du site Natura 2000 et gestionnaire de la RNR, le CBNPMP et l’ONF.
Territoire peu accessible et préservé de la surfréquentation, la RBI de Saint-Pé-de-Bigorre est tout de même parcourue par deux sentiers pédestres balisés (qui servent aussi le temps de la montée des troupeaux en alpage et de leur redescente). Ainsi, la réserve a également une vocation de sensibilisation du public aux écosystèmes forestiers pyrénéens et en particulier à la notion de forêt "naturelle" en libre évolution.