©Carole Desplanque / ONF

Réserve biologique intégrale d'Engins

La réserve biologique intégrale (RBI) d'Engins se trouve en forêt communale d'Engins (38).

Localisation

  • forêt : forêt communale d'Engins
  • commune : Engins
  • département : Isère (38)
  • région : Auvergne-Rhône-Alpes

Identité

  • date de création : 31/03/2010
  • surface : 190,41 ha
  • catégorie UICN d'aire protégée : 1a
  • code national INPN : FR2400213
  • code international Protected planet : 555547160

Gestion

  • direction territoriale ONF : Auvergne-Rhône-Alpes
  • agence territoriale : Isère

La réserve biologique intégrale de la forêt communale d'Engins se trouve au nord du massif montagneux et du Parc naturel régional du Vercors. Etagée entre 1400 m et 1643 m d'altitude au sommet de la Sure, elle constitue un vaste amphithéâtre de lapiaz s'ouvrant au nord-est sur la vallée de l'Isère.

La RBI est concernée par la ZNIEFF de type 1 "Plateau de Sornin, montagne de la Graille", incluse dans la grande ZNIEFF de type 2 "Chainons septentrionaux du Vercors". Elle se trouve à l'extrémité nord de l’ENS du Plateau de la Molière et du Sornin et de la ZSC "Pelouses, forêts remarquables et habitats rocheux du plateau du Sornin", respectivement géré et animé par le PNR. Pour mémoire, l'ENS des Ecouges, celui-ci propriété du département, se trouve à moins de 6 km au sud-ouest et comporte lui-aussi une RBI.

Histoire

Le site de la réserve et ses alentours ont été parcourus et exploités par les êtres humains depuis des millénaires, comme en atteste le site voisin de la Grande Rivoire (commune de Sassenage) qui recèle des artéfacts préhistoriques dans une séquence continue depuis au moins le Mésolithique.

Dans la réserve, les bergers, charbonniers et bûcherons ont laissé des traces plus ou moins anciennes. Quelques ruines de cabanes, points d’eau aménagés et anciens sentiers muletiers sont toujours présents. Les traces du passé pastoral sont les plus marquées vers le sommet de la Sure. A proximité de la réserve, des gravures sont visibles dans le "Puits aux Ecritures". Tout cet ensemble d'artéfacts atteste une relation forte et ancienne entre l’homme et la nature, dans des secteurs qui peuvent paraître "sauvages" aujourd’hui.

Globalement, ces activités humaines sont néanmoins restées diffuses et la réserve est composée de forêt ancienne, étant resté boisée au moment du minimum historique de boisement de la France au début du XIXe siècle. A titre de comparaison, à la même époque, le plateau de Sornin à l'est et celui de la Molière au sud, de nos jours encore à l'état d'alpages, étaient déjà défrichés.

Dans la RBI, les dernières traces d'exploitation de la forêt remontent à la Seconde Guerre mondiale. La hêtraie a été traitée en taillis pour la production de charbon de bois. Il existe des vestiges discrets d'un câble aérien ayant servi à descendre des bois dans la vallée sous la falaise nord. Globalement, la forêt est considérée comme subnaturelle.

Géologie - Pédologie

La réserve est caractérisée par une géomorphologie très particulière héritée de différentes périodes géologiques. Lors du dernier épisode glaciaire, un glacier local en calotte occupe le secteur et recouvre le massif de calcaire (Urgonien). Durant des millénaires, les infiltrations d’eau sous-glaciaire érodent et dissolvent le calcaire, formant un réseau de multiples gouffres et galeries, espace parcouru aujourd’hui par les spéléologues. Ce réseau karstique atteint un développement exceptionnel avec le gouffre Berger, un des plus profonds de France avec ses plus de 1 200 m de dénivelé (et dont l'accès se trouve dans la RBI d'Engins).

Une fois leur trajet dans le calcaire dur effectué, les eaux rencontrent des  couches argileuses et imperméables (Hauterivien) sur lesquelles elles circulent latéralement jusqu'à la surface dans les pentes sous les hautes falaises urgoniennes typiques du Vercors. Au-dessus, sur le plateau de Sornin et dans la RBI, les eaux de surface sont presque inexistantes.

La topographie de la réserve présente un faciès particulier appelé "karst en banquettes", formant de grandes marches d’escalier de quelques mètres de hauteur donnant à l’ensemble son allure d’amphithéâtre.

Sur calcaire massif, les sols de la réserve sont majoritairement des lithosols d'une à quelques dizaines de centimètres d’épaisseur. Ils sont de couleur noire car très riches en matière organique (feuilles, branches, racines…) mal décomposée à cause de la faible activité biologique. Les conditions de développement des végétaux sont contraignantes car le sol est peu apte à retenir de l’eau, souvent mince, et pauvre en éléments nutritifs. En revanche, dans les fentes du lapiaz et dans des dépressions ou bas de pentes, on trouve des sols plus épais, plus riches en argile et en nutriments. 

Milieux naturels

Le minéral est très présent dans la réserve mais celle-ci est tout de même majoritairement boisée.

L’habitat naturel dit de "pavements calcaires" (CB : 62.3 - N2000 : 8240) est caractérisé par l'omniprésence du calcaire massif et souvent nu, mais avec un ensemble de groupements végétaux répartis en mosaïque. La végétation des tables de lapiaz (clints) est réduite à des groupements de lichens et de mousses, des fragments de pelouses et éventuellement des formations buissonnantes ; les fissures (grikes), plus fraîches, sont le domaine de fougères. Les falaises portent aussi une végétation adaptée (62.15 - 8215) et le massif calcaire est percé de grottes et gouffres (65 - 8310).

Là où les sols sont plus épais et plus continus sur les dalles de lapiaz, la forêt prend place. Plutôt en exposition sud et situations les plus chaudes et surtout sèches, on trouve la pineraie de Pin à crochets (42.42 – 9430*), essence très rustique qui supporte les conditions difficiles du lapiaz, en été comme en hiver. En situation plus fraîche, plutôt en exposition nord, sur des gradins plus ombragés, on passe à la pessière (42.21 – 9410). Dans ces deux cas, les conditions écologiques sont difficiles, les enracinements traçants à la surface des dalles et la croissance des arbres est lente. Là où les sols sont plus riches en argile et plus profonds, on trouve des prairies anciennement pâturées et diverses hêtraies ou hêtraies-sapinières : "froide" à Dentaire pennée (41.13 - 9130) en ubac, "sèche" à Seslérie bleue (41.16 - 9150) en adret, "subalpine" à Erable sycomore et Oseille à feuilles de gouet (41.15 - 9140). Enfin, la tillaie-érablaie (41.4 – 9180*) est présente sur des éboulis au pied des marches rocheuses. 

Hormis les dalles calcaires, les milieux ouverts sont représentés par plusieurs types d'habitats à végétation herbacée : pelouses sèches à Seslérie (36.43 - 6170), pelouses mésophiles pâturées sur une vingtaine d'hectares à l'ouest de la réserve jusque dans les années 1990 (34.32 - 6210), fragments de pelouses acidiphiles à Nard sur les sols les plus décalcifiés (36-31 - 6230*), mégaphorbiaies dans les creux à sols profond et frais (37.81 - 6430).

Flore et fonge

La flore vasculaire de la RBI d'Engins est variée, à la mesure de la diversité des habitats naturels, mais comporte peu d'espèces remarquables et protégées : Oreille d'ours (PN), Mélinet glabre (PR).

La bryoflore de la forêt et des rochers est plus remarquable. Les bryophytes ont été inventoriées par le Conservatoire botanique national alpin (CBNA) en 2021 et 2022. 221 espèces ont été identifiées, ce qui représente plus de 25% des espèces connues en Isère. Cette richesse reflète la la variété de conditions écologiques, depuis des situations chaudes et ensoleillées jusqu’à des recoins froids et humides dans les cavités et fentes de lapiaz. La cuvette de la Sure, située la plus au nord, est assez encaissée et recèle des creux froids avec des bois morts assez conséquents, en nombre et en volume. Elle abrite des espèces comme Crossocalyx hellerianus et Liochlaena lanceolata qui exigent toutes deux une forte humidité. Au bord des entrées de gouffres ou scialet, on rencontre Timmia bavarica et Timmia austriaca, espèces cryophiles.

Les champignons associés au bois mort ont fait l’objet d’un inventaire qui a permis d’identifier plus de 150 espèces dont Tubulicrinis cinctus, pour laquelle il s’est agi d'une des deux premières observations en France en 2019 (l'autre dans la RBI de la Grand'Côte dans le Doubs). Sur les lapiaz, les résineux une fois morts, restent debout très longtemps ("kelo tree"), leur permettant au cours de leur lente et progressive dégradation d’héberger des espèces de champignons comme Chaetodermella luna. Toutes ces espèces font partie d’un cortège boréal présent principalement en Scandinavie.

Faune

Plus de 300 espèces de coléoptères ont été trouvées dans la réserve, dont un grand nombre d'espèces liées au bois mort. Parmi ces saproxyliques, 17 espèces rares (indice patrimonial 3), la plupart dans du bois mort de conifères, ainsi qu’une nouvelle espèce pour la France, Crypturgus subscribosus. La présence d’une espèce inféodée à l’Erable sycomore, Phloeostichus denticollis, également présent dans l’ENS des Ecouges et la forêt domaniale des Coulmes voisins, a abouti à la publication d’un article scientifique sur ce coléoptère qui vit dans les petites branches mortes et dont la larve se nourrit d’un champignon du bois mort, Stegonsporium pyriforme.

Lors du même inventaire ont été signalés Riolus subviolaceus, caractéristique des sources froides en milieu calcaire, et Agabus melanarius, prédateur aquatique. Ces deux espèces attestent de l’existence probable de points d’eau semi-permanents situés dans des lapiaz peu profonds.

L'avifaune est riche d'au moins 7 espèces de l'annexe 1 de la directive Oiseaux nicheuses ou de passage : des espèces de forêts plus ou moins claires ou denses (Tétras lyre, Gélinotte des bois), les petites chouettes de montagne nichant dans des arbres à cavités (Chevêchette, Chouette de Tengmalm), des rapaces rupestres (Faucon pèlerin, Aigle royal, Vautour fauve).

Parmi les mammifères, on peut apercevoir Chevreuil, Cerf et Chamois, Ecureuil, Martre, Renard, Lièvre commun... 18 espèces de chiroptères ont été identifiées au gouffre Berger lors d’une étude qui concernait tout l’ENS (22 espèces en tout). La présence de nombreuses cavités dans la roche et dans les arbres vieillissants, ainsi qu’une ressource importante en insectes, expliquent en partie cette richesse.

Gestion

Comme dans toutes les réserves biologiques intégrales, la gestion de la RBI d'Engins consiste principalement en études de la dynamique naturelle des écosystèmes forestiers. Les inventaires d’espèces donnent la priorité à des groupes dont le cycle de vie dépend du bois mort et/ou vivant : insectes et champignons, mousses, lichens, chauves-souris et oiseaux cavicoles notamment.

La réserve d'Engins est un endroit préservé, globalement peu accessible. Côté ouest, elle est néanmoins longée par le GR®9 et par le Tour du Vercors équestre et à VTT. 

L'accès des piétons à la RBI est libre mais les activités sont réglementées. Sont interdits : le pastoralisme, la chasse au petit gibier, le bivouac (et bien sûr le feu comme dans toute la forêt y compris ses milieux ouverts). L'accès au gouffre Berger est en outre réglementé par un arrêté municipal.

Des actions d'information et de sensibilisation à destination du grand public sont réalisées en partenariat avec le Département de l’Isère et le PNRV, pour faire découvrir les richesses de cet espace protégé.

Ressources