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“Pour le forestier, renouveler la forêt est le 1er critère de gestion durable des forêts publiques"

Qu’est-ce que la gestion durable ? Une valeur concrète, une responsabilité, un bienfait et un engagement mis en œuvre avec passion et humilité par des générations entières de forestières et de forestiers. Décryptage dans cette interview avec l'Office national des forêts (ONF).
Interview croisée d'Albert Maillet, directeur Forêts et risques naturels de l'ONF, et de Dominique de Villebonne, ex-adjointe au directeur.

Que veut dire gérer durablement une forêt dans le langage forestier ?

Ce terme de "gestion durable" est assez récent puisqu’il date du début des années 90. En réalité, cette notion recouvre des façons d’agir qui sont parfois ancestrales, en particulier en France dans les forêts publiques. Elle signifie tout d’abord que la forêt bénéficie d’une intervention du forestier sur le long terme, avec la perspective permanente que cet écosystème perdure et s'enrichisse grâce à la préservation des sols, de l’eau, de la biodiversité.

Pourquoi cette ambition ?

Parce que la forêt rend à la société des bienfaits inestimables : des bienfaits écologiques, la forêt et le bois constituant notamment d’immenses réservoirs de carbone et de biodiversité ; des bienfaits économiques, avec une filière fortement créatrice d’emplois et d’activité non délocalisable dans les territoires ; des bienfaits sociétaux, avec des citoyens de plus en plus nombreux à vouloir profiter, en toute quiétude, de ces espaces naturels ; ou encore, des bienfaits pour prévenir les risques naturels (contre les éboulements en montagne ou encore contre l'érosion dunaire).

Dans les forêts publiques, gérer la forêt de manière multifonctionnelle, c’est agir à chaque fois au service de ces différents objectifs en garantissant un juste équilibre entre tous.  Aujourd’hui, ce concept est une exigence des tutelles de l'ONF (ministère de l’Agriculture et de la Transition écologique), des organismes certificateurs PEFC et FSC, mais aussi un impératif partagé par tous les acteurs d’un territoire.

Des forestiers en plein travail de sélection des chênes pour la flèche de Notre-Dame de Paris. - ©FBF / 16 Prod / Eric Facaon

Et si on ne faisait rien du tout ? A quoi ressemblerait la forêt ?

L’Homme n’est pas indispensable à la survie sur le long terme de la forêt. Autrement dit, la forêt n'a nul besoin d'un gestionnaire si on fait totalement abstraction des attentes des sociétés humaines. Pourtant, si on veut tenir compte de ces besoins (parquet, papier, charpente...), il faut une gestion active ! Il y a un écart entre ce que l'Homme veut et ce que la forêt offre naturellement, et le concept de gestion durable consiste à combler cet écart, sans nuire à la forêt.

Intervenir, c’est orienter l'œuvre de la nature, mais cette action, comme soulignée avant, engendre de réels bénéfices pour la société et pour la planète. Comme l’ont affirmé récemment les experts du GIEC, la gestion durable permet, c’est l’un des défis majeurs de notre siècle, de préserver et d’améliorer la séquestration de carbone en forêt.

C'est à dire ? 

Les forêts, et notamment les sols forestiers, constituent le deuxième plus grand puits de carbone de la planète. Lorsqu’il est dans sa pleine croissance, un peuplement forestier capte et capture du CO2, participant ainsi à la réduction de la présence de gaz à effet de serre dans l'atmosphère. 

Mais ce n'est pas tout. Une fois récoltés à maturité, les arbres connaissent une seconde vie. Transformés en "produits bois", ils continuent à jouer pendant de nombreuses années un rôle de stockage de carbone et permettent de se substituer à des matériaux beaucoup plus énergivores. Sans la gestion durable, il n’y aurait plus de circuit court, et inversement : ces deux objectifs doivent être strictement liés !

Il n’existe pas de forêts primaires en France métropolitaine, contrairement à d’autres pays. Les forêts que nous connaissons, parcourues par tant de promeneurs, sont le fruit du travail et du savoir-faire minutieux de plusieurs générations de forestières et de forestiers.

Mais cette forêt, pourtant gérée durablement, est aujourd’hui victime de nombreux dépérissements partout en France.

Oui, et ces dépérissements, conséquence directe de l’accélération fulgurante du changement climatique, nous conduit à adapter nos choix et nos modes de gestion. Dans certains massifs du Grand Est et de Bourgogne Franche-Comté notamment, les épicéas, qui ont régné avec vigueur pendant plusieurs siècles, ne parviennent plus à s’adapter. Ici et là, les sapins rougissent, les hêtres sont menacés, les pins victimes de chenilles processionnaires, les châtaigniers sont touchés par la maladie de l’encre… Même le chêne, symbole de la forêt française, n'est pas épargné. 

Partout, les crises sanitaires se multiplient et si nous voulons que la forêt continue à rendre ses services, les forestiers doivent agir avec responsabilité. Leurs choix ne se font pas seuls. A leurs côtés, de nombreux partenaires - chercheurs, élus, services de l’Etat, associations, citoyens - œuvrent pour préserver l’avenir des forêts publiques françaises.

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Les forêts françaises ont-t-elles toujours été "travaillées" par l’Homme ?

Il n’existe pas de forêts primaires en France métropolitaine, contrairement à d’autres pays. Les forêts que nous connaissons, qui sont aimées et parcourues par tant de promeneurs, sont bel et bien le fruit du travail et du savoir-faire minutieux de plusieurs générations de forestières et de forestiers. Le fruit d’une histoire aussi. Prenons l’exemple des majestueuses chênaies peuplant les forêts de Bercé ou de Tronçais : elles ont été travaillées, et plantées pour une grande part, dès le XVIIe siècle pour répondre à la nécessité de produire du bois de marine. En 1860 en montagne, des boisements massifs ont été ordonnés par l’Etat pour limiter les risques d’éboulement et protéger les populations situées dans les vallées. Au même moment dans les dunes, des forêts de pins ont été créées de toute pièce pour stabiliser le sable envahissant peu à peu les villages, assécher les marais et lutter contre le paludisme qui sévissait. Il y a deux siècles toujours naissait l’administration des Eaux et Forêts, et avec elle le Code forestier, socle de la gestion durable.

Depuis, dans les forêts publiques qui représentent 25% du territoire forestier métropolitain, alors que 75% des forêts appartiennent à des propriétaires privés, nos connaissances sur le fonctionnement des écosystèmes se sont considérablement accrues et guident nos choix de gestion. Aucune action n’est menée sans être guidée par l’objectif et le devoir de renouveler et de transmettre un patrimoine forestier en bonne santé et utile aux générations futures. Patrimoine forestier qui, rappelons-le, n’a jamais été aussi grand que depuis le XIXe siècle : en France, sa surface a doublé depuis 1830. C'est-à-dire, en une ou deux générations d'arbres ! 

La forêt publique française est source de biodiversité, accueille le public, produit du bois et stocke le carbone. Des enjeux multiples sur lesquels veillent les forestiers - ©Giada Connestari / Imageo / ONF

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