La prévention des incendies face au réchauffement climatique

Interview d'Albert Maillet, directeur Forêts et risques naturels (DFRN)

L'été 2022, nous avons connu une série d’épisodes caniculaires sans précédent. De nombreux incendies se sont déclarés, notamment en Gironde où les flammes ont dévasté plus de 32 000 hectares. Comment l’ONF contribue-t-il à la stratégie nationale de prévention des feux de forêt en France ?

L’ONF intervient à toutes les étapes de la prévention, soit dans le cadre de la gestion courante des forêts publiques, soit dans le cadre spécifique des missions d’intérêt général confiées par l’Etat. La stratégie de prévention nationale est une chaîne logique organisée en 4 étapes.

La première étape consiste à prévenir les départs de feu. En France, 90% des feux sont d’origine humaine. Nous avons donc des leviers pour faire évoluer positivement les choses, en modifiant certains de nos comportements. Cela passe par le respect de la réglementation et la sensibilisation des populations et des acteurs professionnels travaillant en milieu naturel. Autant de publics cibles que les forestiers de l’ONF peuvent sensibiliser pour diminuer, grâce à ce travail de pédagogie locale et nationale, le déclenchement de feux accidentels.

La seconde étape de prévention correspond à la détection et première intervention sur les feux naissants. Dans l’attente de l’arrivée des pompiers alertés, il s’agit pour les équipes ONF d’essayer d’éteindre le feu « dans l’œuf », ou de le ralentir avant qu’il n’ait pris des dimensions trop importantes et ne devienne trop difficile à gérer. Comment ? Grâce à nos réseaux de patrouilles, dont certaines sont composées de véhicules équipés de petites citernes d’eau qui se rendent sur le terrain le plus rapidement possible.

Si cette action n’a pas été concluante et que le feu commence à s’étendre, vient alors la troisième étape : l’intervention des services de lutte, à savoir les pompiers et les canadairs, lesquels vont appuyer leurs actions sur les équipements de terrain (pare-feu, pistes, points d’eau) installés et entretenus par les services forestiers

En cas de grand feu, les équipes d’intervention vont se concentrer sur le front de flammes principal. Cependant il peut y avoir au niveau des lisières des zones déjà brûlées des redémarrages de feu. D’où la quatrième étape qui fait partie de la gestion de crise : observer les lisières en arrière du front principal et alerter les pompiers en cas de reprise.

Le saviez-vous ?

Les pistes permettent une accessibilité rapide et optimale aux services de lutte, leur permettant d’atteindre le feu et, en cas de vents forts, de manœuvrer efficacement. Quant aux pare-feu (les zones de débroussaillements), ils ont une double fonction : casser la puissance du feu en lui retirant du combustible inflammable et favoriser la mise en sécurité des équipes.

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Au-delà des forêts publiques, les quatre étapes que vous décrivez sont-elles également appliquées en forêt privée ?

Ce schéma général est valable partout, même si chaque action nécessite de s’adapter à la réalité du contexte et de la géographie locale. Le feu ne connaît aucune frontière : les principaux équipements de prévention et de lutte contre les incendies sont raisonnés à l’échelle d’un territoire, indépendamment des statuts de propriété et, en général, portés par l’Etat et les collectivités. Peu importe le propriétaire du peuplement, public ou privé, la vraie question est de connaître le niveau de gestion et d’équipements de la forêt.

La segmentation ne se fait pas tant entre forêt publique et forêt privée mais entre une forêt gérée et une forêt non gérée.

La situation actuelle en Gironde donne-t-elle lieu à des pistes de réflexions pour prévenir de futurs grands incendies ?

Dans le domaine de prévention des feux de forêt, nous sommes toujours dans un processus d’amélioration continue. L’expérience nous permet d’adapter nos stratégies.

Par exemple, la stratégie d’intervention sur feux naissants : lorsqu’on a deux incendies en simultané, un grand et un petit, le réflexe serait de mettre tous les moyens sur le plus conséquent. Or, nous savons aujourd’hui qu’il ne faut pas minimiser les moyens mis en œuvre sur le plus petit. Sans cette disposition, nous risquons d’avoir deux grands feux à gérer.

Autre exemple : la reconstitution post incendie ; elle repose de plus en plus sur des expertises complètes qui ne se limitent pas à la question du renouvellement du peuplement, mais raisonne en termes de réaménagement global d’un territoire plus résilient ; car nous devons apprendre à vivre avec le feu, le risque zéro n’existant pas.

Ecorce d’un chêne vert touchée par un feu ayant sévi un an auparavant. - ©Téva Bourdin / 16Prod

Y a-t-il des essences à privilégier pour permettre à la forêt de renaître plus facilement de ses cendres à la suite d'un incendie ?

Ce sont les conditions météo (sécheresse, la chaleur et le vent) qui favorisent l’occurrence de sinistres importants. Le facteur climatique est donc le premier en cause, la nature du combustible n’intervenant qu’ensuite, notamment au travers de la disposition des végétaux dans l’espace. Lors d’un incendie, la mise à feu s’opère à partir d’éléments très inflammables au sol, notamment la lisière et les herbacés. Ensuite, le feu gagne le sous-bois, c’est ici qu’il va prendre toute sa puissance, avant de gagner les cimes des arbres.

Si nous comprenons ce mécanisme, on peut imaginer comment freiner le feu, notamment par le choix d’un mode de sylviculture à couvert haut et dense limitant l’éclairage du sol et donc le développement du sous-bois.

Par ailleurs, en termes de végétation, la résistance à la sécheresse et la capacité à se régénérer en conditions difficiles sont des facteurs sélectifs décisifs. De ce point de vue-là, le mélange d’essences est un point favorable. Cette diversité d’essences est d’ailleurs au cœur de notre stratégie plus globale d’adaptation des forêts au changement climatique.

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