Dépérissements en forêt de Darney (Vosges) – ©Fiona Farrell / ONF

“Face au changement climatique, l’urgence d’agir dans un climat incertain"

Un peu partout en France, les forêts souffrent du changement climatique. Attaques de scolytes, de hannetons, chalarose, chenille processionnaire… Depuis 2018 dans les forêts publiques, plus de 300 000 hectares ont été touchés, soit environ 30 fois la superficie de Paris. Un défi de taille pour l’Office national des forêts (ONF), gestionnaire des forêts publiques françaises, qui a récemment lancé sa stratégie d’adaptation des forêts au changement climatique (AFCC).
Entretien croisé avec Erwin Ulrich, pilote de la mission adaptation des forêts au changement climatique, et Xavier Bartet, adjoint à la cheffe du département recherche, développement et innovation de l’ONF.

Quels sont les enjeux et les fondements de votre stratégie d’adaptation des forêts au changement climatique ?

Erwin Ulrich : L’objectif principal est de maintenir la forêt publique en bonne santé sur le long terme, en lui permettant de continuer à jouer son rôle multifonctionnel si utile à la société : un rôle écologique, grâce à la biodiversité qu’elle héberge et au carbone qu’elle stocke ; un rôle de protection contre les risques naturels (glissements de terrain, chutes de blocs, avalanches…) ; un rôle économique grâce au bois qu’elle offre, et un rôle d’espace bien-être, de loisirs et de ressourcement indispensable aux promeneurs.

Ce qui nous anime, c’est de laisser aux générations futures une belle forêt pour qu’elles aient la chance d’en profiter également. Cette ambition nécessite des approches variées, qui ne se limitent pas aux seuls choix d’essences d’arbres à planter. D’autres champs d’action, comme la protection des sols, de l’eau, la préservation des espèces l’équilibre forêt-gibier, la gestion des risques naturels, sont essentiels pour contribuer à la résilience des forêts.

©ONF

Xavier Bartet : Lorsqu’on parle de stratégie d’adaptation des forêts au changement climatique, le maître-mot c’est adaptation. Pourquoi ? Principalement parce que la vitesse d’évolution de ces changements est bien plus importante que le temps d’adaptation des arbres. Il faut maintenant envisager une gestion différente dans un contexte "incertain". La tâche peut sembler vertigineuse parce qu’il nous faut véritablement repenser notre gestion forestière, afin de la décliner sous cet angle du changement climatique.

De nombreuses actions ont déjà été mises en place sur le terrain depuis ces cinq dernières années, grâce notamment aux travaux de recherche menés avec nos partenaires de l’INRAE.

Erwin Ulrich.

Qu’est-ce qui vous a conduit à élaborer cette stratégie ? 

X.B : Le changement climatique ne date pas d’hier ; cela fait maintenant des décennies que les experts du GIEC (Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat) alertent sur ses impacts. Mais cette véritable prise de conscience autour de l’urgence d’agir, elle, est plus récente. Cela fait maintenant cinq ans que des sécheresses estivales sévissent dans plusieurs régions et que les forêts subissent des dépérissements massifs, avec des phénomènes qui s’accentuent. Ceci a provoqué une forme d’électrochoc pour les forestiers.

E.U : De nombreuses actions ont déjà été mises en place sur le terrain depuis ces cinq dernières années, grâce notamment aux travaux de recherche menés avec nos partenaires de l’INRAE. Ces actions vont dans le sens d’une modification progressive des essences un peu partout en France, avec l’impératif de créer les conditions d’une forêt mosaïque, plus diversifiée et équilibrée face aux enjeux climatiques, environnementaux et sociétaux.

A quoi ressemblera la forêt de demain ? Qu’est-ce qu’une forêt mosaïque, concrètement ?

E.U : Cette modification des essences va être progressive et se faire principalement avec des essences qui existent déjà en France mais qui se développent dans des régions où il fait déjà très chaud et sec. Dans un certain nombre de cas, ce seront des provenances (variété d’une même essence) plus adaptées que l’on va privilégier.

Dans d’autres contextes, la régénération naturelle d’essences en place relativement résistantes face aux changements climatiques sera maintenue. La multiplicité des scénarios de gestion envisagés, pour adapter la forêt aux changements climatiques mais aussi pour qu’elle produise le maximum de services, permettra d’apporter cette diversité et le développement de cette forêt mosaïque résiliente et utile aux générations futures.

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