©Marlène Treca / ONF

Sonosylva : une technologie pour écouter et comprendre la vie en forêt

Grâce au projet scientifique Sonosylva, des micros enregistrent la vie sauvage de 110 forêts françaises. L’objectif : créer une mémoire acoustique de ces écosystèmes pour mieux comprendre leur évolution, repérer les déséquilibres et agir au service de la restauration de la nature.

 

Depuis mars 2024, des forêts françaises font entendre leurs voix. Le projet Sonosylva est un vaste programme scientifique piloté par l’Office français de la biodiversité (OFB) et le Muséum national d’Histoire naturelle (MNHN). Son ambition : devenir le premier référentiel national de la diversité sonore des forêts françaises afin d’éclairer le suivi de la biodiversité terrestre. Une base de données inédite qui permettra aux scientifiques de comparer les enregistrements d’année en année. Dans le cadre de ce programme, 110 forêts ont été choisies avec soin pour être équipées d’enregistreurs sonores. 75 forêts publiques sont concernées (communales et domaniales), faisant de l’ONF un partenaire central du projet. 

Comment fonctionne Sonosylva ?

Des magnétophones autonomes, posés par les équipes scientifiques, enregistrent les sons de la forêt pendant une minute, toutes les quinze minutes, un jour sur deux. Ces petits micros discrets suspendus aux arbres écoutent, sans perturber l’environnement. Ce qu’ils captent, c’est tout simplement la vie. Les chants des oiseaux, le bourdonnement des insectes, les bruissements du vent dans les feuillages, la pluie, l’orage… mais aussi, parfois, les bruits plus intrusifs des moteurs d’avion, d’une route voisine ou d’un randonneur. « Ces forêts ont été choisies pour maximiser l’écoute de la nature, tout en intégrant la réalité des sons anthropiques », explique Ludovic Crochard, coordinateur du projet Sonosylva au Muséum national d’histoire naturelle

Maintenance de l'enregistreur Sonosylva dans la forêt communale de Cohennoz en Savoie - ©Marine Vallée / ONF

Une nouvelle façon d’observer la nature

Les zones expérimentales sont toutes situées dans des « Aires Protégées » (site Natura 2000, Réserve Naturelle Régionale, Parc naturel régional, réserve biologique…), sélectionnées par le Museum national d’Histoire naturelle pour leur fort intérêt écologique. Elles accueillent une faune et une flore riches, ainsi que des habitats naturels pour certains rares et patrimoniaux. Dans ces milieux, des mesures spécifiques réglementaires ou de gestion sont appliquées, avec la mise en place de zones ou périodes de quiétude destinées à réduire les dérangements, notamment pour les oiseaux. Certaines de ces zones sont laissées en libre évolution, comme dans les réserves biologiques intégrales crées par l’ONF. Dans ces secteurs, aucune sylviculture n’est pratiquée : aucune coupe d’arbres donc, ni de travaux forestiers, ce qui limite fortement la pollution sonore d’origine humaine. Ces sites sont particulièrement propices à l’écoute des écosystèmes. Une vingtaine des sites équipés retenus sont ainsi des réserves biologiques intégrales gérées par l’ONF.

Bruit de cloches avec le chant d'une mésange huppée enregistré par Sonosylva dans la forêt communale de Villaroger

L’intelligence artificielle pour interpréter les sons

Trois campagnes d’enregistrement sont prévues sur la période 2024-2026. Les résultats seront étudiés à l’aide de l’intelligence artificielle pour détecter les changements comme la baisse ou non d’activité d’une espèce, l’apparition ou la disparition de nuisances sonores, ou les équilibres et déséquilibres écologiques entre les milieux. Chaque signal est identifié, géolocalisé et horodaté, offrant des données précises sur la fréquence d’émission d’une espèce ou la répétition d’un bruit extérieur. Cette technologie transforme ainsi des milliers d’heures d’enregistrements en informations exploitables.

Le projet est prévu pour trois ans, mais l’objectif est de le prolonger. Il évoluera peut-être selon les premiers résultats, certains sites pourraient être exclus et d’autres rajoutés, ou la durée des enregistrements réduite. On réfléchit aussi à lancer un Sonosylva citoyen, qui permettrait à chacun, en se promenant en forêt, d’enregistrer les sons avec son smartphone et de répondre à quelques questions. Ce serait un moyen d’impliquer davantage le public, de le sensibiliser aux sons des espaces naturels et à la pollution sonore et de collecter encore plus de données.

Ludovic Crochard, coordinateur du projet Sonosylva au Muséum national d’histoire naturelle

Un atout pour la gestion forestière

Pour l’ONF, le dispositif est prometteur. « Cette technique d’éco-acoustique ouvre un champ de recherche entièrement nouveau. Complémentaire à nos actions de terrain et à nos inventaires naturalistes, elle peut nous aider, particulièrement dans les zones sensibles ou difficilement accessibles, à détecter plus précocement certaines anomalies ou ruptures d’équilibres écologiques », témoigne Caroline Samyn, ONF, chargée de mission nationale Espaces protégés et pilote du projet Sonosylva. De quoi permettre d’ajuster les pratiques de gestion face aux enjeux d’adaptation au changement climatique et de préservation de la biodiversité, condition essentielle à la résilience des forêts

Partez à la découverte de 3 forêts

 La forêt domaniale de Verdun dans la Meuse

Depuis début mars 2025, la forêt domaniale de Verdun accueille un projet d’envergure : la création d’une réserve biologique intégrale (RBI) sur la parcelle des Jumelles d’Ornes. Un terrain idéal pour le programme Sonosylva qui a décidé de s’y installer. Yannick Vera, responsable environnement et chef de projet de la Forêt d’Exception de Verdun nous raconte en quoi ce projet est une avancée pour une connaissance plus fine de la biodiversité

Peut-être qu’on n’apprendra rien de plus que ce qu’on sait déjà… mais peut-être aussi qu’on découvrira une espèce encore inconnue, simplement en écoutant. Plus on acquiert d’informations naturalistes sur un site, plus nous pouvons améliorer notre connaissance et protection des milieux forestiers. C’est, à mes yeux, un outil extrêmement intéressant sur le long terme. Sur le site des Jumelles d’Ornes, nous savons par exemple qu’il existe des bruits perturbants, notamment un champ de tir au cœur de la forêt domaniale. Comment les espèces vivent-elles avec cette réalité ? Sonosylva nous révèlera peut-être ici des informations utiles. On est fiers que ce projet se déroule sur notre forêt, et on a hâte d’en voir les premiers résultats.

Yannick Vera, ONF, responsable environnement et chef de projet de la Forêt d’Exception de Verdun

La forêt domaniale du Val Suzon en Côte-d’Or

Depuis mars 2024 et jusqu’à fin septembre, la forêt du Val Suzon, en Côte-d’Or, accueille le dispositif Sonosylva. Les enregistreurs acoustiques ont été installés sur ce site classé Réserve Naturelle Régionale et labellisé Forêt d’Exception. Une deuxième session de collecte sonore est déjà prévue en 2025. Marlène Treca, conservatrice de la Réserve Naturelle Régionale du Val Suzon et référente Forêt d’Exception, souligne combien il lui semble essentiel de participer à ce projet innovant et prometteur.

Je suis assez pressée d’avoir les résultats. Ce projet peut vraiment nous apporter de nouveaux éléments sur les espèces présentes. Et puis ici, avec nos 3000 hectares, ce type d’outil peut vraiment nous aider à faire des états des lieux plus complets. En tant que réserve naturelle et Forêt d’Exception, on a un devoir d’être un territoire d’expérimentation. Participer à un dispositif de recherche à l’échelle nationale, c’est une chance pour mieux surveiller la biodiversité, tout particulièrement dans un contexte de changement climatique qui bouleverse la vie des écosystèmes.

Marlène Treca, ONF, conservatrice de la Réserve Naturelle Régionale du Val Suzon et référente Forêt d’Exception

La forêt communale de Cohennoz et la forêt communale de Villaroger en Savoie

Nichées au cœur des Alpes, la forêt communale de Cohennoz et la forêt communale de Villaroger sont deux joyaux naturels, protégés respectivement par la Réserve Naturelle Régionale de la tourbière des Saisies – Beaufortain – Val d’Arly et par la Réserve Naturelle Nationale des Hauts de Villaroger. Des enregistreurs Sonosylva y ont été installés dès mars 2024 pour une première session jusqu’en octobre, puis remis en place depuis mars 2025. Marine Vallée, conservatrice de la Réserve Naturelle Régionale de la tourbière des Saisies- Beaufortin-Val d'Arly, nous explique comment ce projet permet de mieux connaître les espèces qui vivent autour de nous, même celles qu’on ne voit pas souvent. 

L’intérêt principal, c’est de pouvoir détecter des espèces difficiles à observer, comme le pic tridactyle, un oiseau très discret que l’on a déjà entendu dans la forêt communale de Cohennoz, mais que l’on suspecte aussi présent à Villaroger, bien qu’il n’y ait jamais eu d’observation confirmée sur ce site. Ces enregistreurs permettent d’entendre des espèces qu’on ne pourrait pas repérer autrement. Cela ouvre aussi la possibilité de mieux suivre les populations déjà connues, voire d’inventorier de nouvelles espèces. Par ailleurs, dans la forêt communale de Cohennoz, qui se situe sur un domaine skiable très fréquenté, ces enregistreurs peuvent aider à mesurer l’impact sonore des compétitions de ski de fond, notamment pour des espèces sensibles comme le tétras lyre en période de chant.

Marine Vallée, ONF, conservatrice de la Réserve Naturelle Régionale de la Tourbière des Saisies- Beaufortin-Val d'Arly

Pour poursuivre la promenade acoustique...

Chant de cigales enregistré par Sonosylva en Réserve biologique intégrale des Maures

Chant de mésange charbonnière enregistré dans la forêt communale de Villaroger

Chant sous la pluie de plusieurs oiseaux dont un rougegorge enregistré par Sonosylva dans la forêt domaniale de Val Suzon

Bourdonnement d'insectes pollinisateurs enregistré par Sonosylva dans la Réserve Naturelle Régionale de la tourbière des Saisies – Beaufortain – Val d’Arly

Chant de plusieurs oiseaux dont une sittelle torchepot enregistré par Sonosylva dans la forêt domaniale de Val Suzon