La maladie de l’encre : un mal qui ronge les châtaigniers de la forêt de La Grange

Que ce soit en raison de saisons trop chaudes ou trop sèches, ou de la prolifération d’insectes ravageurs, de nombreux arbres dépérissent sur le territoire national. Malheureusement, ces évènements n’épargnent pas la forêt domaniale de La Grange (Val-de-Marne). Exemple avec la maladie de l’encre qui touche ses châtaigniers et menace son avenir.

Dans la forêt de La Grange, les forestiers constatent depuis 2 ans une mortalité précoce des châtaigniers. En cause, la maladie de l’encre qui est due à un pathogène microscopique présent dans le sol et invisible à l’œil nu : Phytophthora cinnamomi. Ses effets sont dévastateurs. En se déplaçant dans l’eau à travers le sol, il infecte le système racinaire des châtaigniers finissant par provoquer leur nécrose.

Une fois atteints, les jeunes châtaigniers meurent très vite alors que les adultes voient leurs feuilles rabougrir, jaunir puis tomber progressivement. Des écoulements couleur encre apparaissent au niveau du tronc et l’arbre finit par mourir complétement.

En revanche, l’agent pathogène continue à se propager d’arbres en arbres menaçant les châtaigniers sains. Aucun traitement n’existe actuellement contre ce mal incurable.

Les arbres touchés se reconnaissent par des feuilles jaunâtres et petites, un dessèchement des rameaux, des fructifications de petite taille puis un dépérissement général. - ©Franck Saintipoly / ONF

Des effets amplifiés par le dérèglement climatique

Son apparition ne date pas d’hier. Arrivée d’Asie à la fin du XIXe siècle, la maladie est longtemps restée "dormante", jusqu’à ce que le dérèglement climatique lui offre les conditions propices à son développement. En effet, les hivers et printemps plus doux et humides facilitent la propagation des spores d’arbre en arbre, en particulier dans les sols mal drainés. A cela s'ajoutent des étés plus secs, qui génèrent un stress supplémentaire pour les arbres affaiblis par la maladie et accélèrent leur dépérissement.

Aujourd’hui, la maladie de l’encre gagne du terrain en Île-de-France. Elle s’étend du Val-d’Oise à l’Essonne et n’épargne plus les forêts proches de Paris comme celle de la Grange. Cette situation sanitaire inquiète l’ensemble de la communauté scientifique (chercheurs et experts) ainsi que les gestionnaires d’espaces naturels.

Etendue de la maladie en France

Une maladie scrutée à la loupe

A défaut d'éradiquer la maladie, les spécialistes de la forêt ont voulu dresser un état des lieux sanitaire. Le Département de la santé des forêts (DSF) du ministère de l’Agriculture et de la souveraineté alimentaire, l’Office national des forêts (ONF) pour les forêts publiques, le Centre national de la propriété forestière pour les domaines privés (CNPF) et les chercheurs de l’institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae) ont réalisé un diagnostic approfondi au niveau régional.

Les 250 000 hectares de forêts franciliennes ont été observés depuis le ciel via les satellites Sentinel. Objectif : détecter de manière objective l’état sanitaire des peuplements de châtaigniers tout en cartographiant l’avancée de la maladie de l’encre. Ces données corrélées avec les observations de terrain constituent une précieuse source d’information pour suivre la maladie dans la région.

Résultats des diagnostics dans la forêt de La Grange - ©Système d'information géographique ONF

Des cartes détaillées, parcelle par parcelle, ont été ensuite éditées. Pour chaque secteur constitué d'au moins 80 % de châtaigniers, on identifie l'état sanitaire des spécimens :

  • peuplement sain ou peu dépérissant lorsque moins de la moitié des arbres sont touchés ;
  • peuplement dépérissant au-delà (entre 50 et 90 %) ;
  • peuplement mort ou moribond quand plus de 90 % dépérissent très fortement.

Ce travail dresse un constat implacable. Aujourd’hui, 60% des peuplements à majorité de châtaigniers de la forêt de la Grange dépérissent fortement.

Le diagnostic cartographique issu de la télédétection constitue un outil précieux pour l’ONF. Il apporte des données spatialisées et chiffrées sur l'évolution de la maladie de l’Encre. En s'appuyant sur ces éléments factuels, nous pourrons envisager les actions prioritaires à engager.

Matthieu Augéry, chef du service forêt à l’agence Île-de-France est à l’ONF.

Ne pas hypothéquer l’avenir de la forêt

Sur la forêt de La Grange, si les premiers signes de dégradation sont apparus il y a 5 ans, c’est bien depuis 2 ans que la crise de l’Encre atteint un niveau préoccupant. À l’avenir, faute de traitement, il faut s’attendre à ce les châtaigniers sains subissent le même sort et que la maladie s’étende encore davantage.

L’ONF a la responsabilité de conserver ce patrimoine forestier remarquable, dont les valeurs sociales et environnementales sont fortes sur le territoire. Aujourd'hui, si l’heure n’est pas au choix de gestion, la maladie de l’encre menace l’avenir de ce poumon vert. L'ONF engage une réflexion avec les collectivités locales et les partenaires autour de 4 grands axes :

  • Sécuriser les zones les plus dangereuses pour le public (bord de sentiers et habitations, parkings) ;
  • Reconstituer les peuplements détruits par la maladie ;
  • Préparer la forêt face au réchauffement global des températures ;
  • Expérimenter des techniques sylvicoles adaptées au contexte périurbain.

Forestiers, chercheurs, collectivités territoriales et État s’engagent dans cette voie avec comme priorité l’objectif d'assurer la pérennité de la forêt de la Grange.

Et aussi :