Sécheresse et climat : l'ONF mobilisé pour la reconstruction des forêts

La reconstitution des forêts post-sécheresse fédère l’ensemble de la filière forêt-bois française. Du choix des essences à la replantation et au suivi des peuplements, en passant par le maintien de l’équilibre forêt-ongulés, la gestion forestière doit, elle aussi, relever le défi du changement climatique.

"La sécheresse de 2019 est inédite par le nombre d’essences impactées, comme l’épicéa, le sapin, le pin sylvestre, le charme ou encore le hêtre. Mais aussi par son ampleur en terme de surfaces forestières touchées", analyse Rodolphe Pierrat, adjoint au directeur territorial Grand Est à l’ONF. Ces conditions climatiques extrêmes, auxquelles s’ajoute une virulente épidémie de scolytes, ont entraîné des dépérissements inégalés dans les forêts publiques du quart Nord-Est de la France. Une étude réalisée par l’ONF à l’échelle des territoires les plus touchés rend compte de l’ampleur des dégâts observés en août 2019. Depuis 2018, plus de 300 000 hectares de forêts publiques sont concernés par des mortalités liées à la sécheresse et aux scolytes, soit environ 30 fois la superficie de Paris.

 

Dépérissements liés à la sécheresse - ©E. Chicois / ONF
PICTOS web

Des conséquences sur la filière forêt-bois

Ces dépérissements auront nécessairement des impacts sur les récoltes de bois. En forêt publique, ces arbres morts devraient représenter environ 20% de la récolte de 2019. En 2018 déjà, un million de m3 de bois touchés par les scolytes avaient été récoltés sur les régions Hauts-de-France, Normandie, Grand Est et Bourgogne-Franche-Comté, soit cinq fois plus qu’une année moyenne.

Ce phénomène de dépérissements touche l’ensemble de la forêt française, et s’étend même de manière inédite à tous les pays européens. En forêt publique française, l’ONF, ses partenaires de la filière forêt-bois et du monde de la recherche, ont désormais la lourde tâche de remettre les forêts publiques sur pied. Sur les 138 espèces d’arbres recensées dans les forêts françaises, certaines s’adapteront plus ou moins bien aux effets encore incertains du changement climatique sur le long-terme. Les prévisions du GIEC annoncent plusieurs scénarios possibles à l’horizon 2050. Les températures augmenteront-elles de 0,5 degrés, d’un degré ou de deux degrés ? Une chose est sure : "la capacité d’adaptation des forêts dépendra aussi de la quantité de gaz à effet de serre que l’on émettra dans l’atmosphère", explique Rodolphe Pierrat.

Plus de plantation et de diversité des essences

Par le passé, les forêts ont prouvé qu’elles avaient les moyens de s’adapter. Aujourd’hui, le réchauffement climatique s’accélère à une vitesse inédite et nous devons réagir. Les forestiers de l’ONF sont mobilisés pour accompagner et adapter les forêts à ce changement. Depuis 2002, près de six millions d’arbres sont plantés chaque année en moyenne dans les forêts publiques. Cette méthode est habituellement minoritaire, puisque c’est la régénération naturelle (renouvellement d’une forêt à partir des graines tombant sur le sol) qui prévaut dans 80% des peuplements. "A condition que l’essence majoritaire reste bien adaptée à la station forestière", assure Régine Touffait de la Direction forêt et risques naturels à l'ONF.

Désormais, la donne change, puisque la question se pose d’introduire de nouvelles essences et de miser sur davantage de diversité génétique.  "Le renouvellement des forêts par plantation va augmenter", poursuit Régine Touffait. Sur les 300 000 hectares de dépérissement recensés depuis 2018 dans les forêts gérées par l’ONF, plus de 58 000 hectares ont été identifiés comme "à reconstituer". Cela signifie que les parcelles dans lesquelles les mortalités concernent la majorité des arbres vont être replantées.

Chêne vert, Chêne pédonculé, Pin... La Réserve Naturelle de Dunes et Marais d'Hourtin est constituée d'essences mélangées - ©Giada Connestari / ONF

Replanter, oui, mais avec quoi ? "Des peuplements entiers de sapins et d’épicéas ont été décimés cet été à cause de la sécheresse, aggravée par une pullulation de scolytes. Pour l’avenir, il faut reconstituer ces peuplements avec d’autres essences, comme du chêne, du sapin de Bornmuller, du mélèze ou encore du cèdre, mieux adaptés à nos climats futurs", poursuit Régine Touffait.

©Nathalie Petrel / ONF

Expérimenter avec la création d'îlots d'avenir"

Depuis des années, les équipes de l’ONF travaillent à l’adaptation des milieux forestiers à un climat en constante évolution. Le département Recherche, développement et innovation (RDI) de l’Office, en collaboration avec différents organismes comme l’INRA, le CRPF ou encore l’IRSTEA, œuvrent à cibler les essences plus résilientes.

Dans le Grand Est, l’une des régions les plus durement touchées, l’ONF et ses partenaires sont en train de constituer un réseau d’îlots d’avenir. Ces parcelles d’une surface de 2 hectares chacune visent à tester l’implantation de nouvelles essences dans des conditions de gestion habituelles. Ces tests, qui impliquent de dégager des moyens financiers conséquents (2,1 millions d’euros pour cette opération), sont financés par la Région Grand Est à travers le Programme européen pour l’innovation. Le projet prévoit la réalisation de 25 îlots en forêt domaniale, 25 en forêt communale et 25 en forêt privée, soit 75 sur l’ensemble du Grand Est. Au total, 300 000 plants seront plantés avant 2022.

Jeunes pousses en pépinière - ©Nathalie Petrel / ONF

"Dix essences, dont cinq feuillues et cinq résineuses, ont été sélectionnées sur la base des connaissances issues de plusieurs projets de recherche", explique Lilian Duband, chargé des questions liées au changement climatique à l'ONF Grand Est. La plupart sont des essences méditerranéennes, comme le sapin de Cilicie (Turquie) ou le chêne Zéen (Espagne et Algérie). Mais des essences plus exotiques encore seront aussi implantées, à l’instar du Calocèdre (Etats-Unis) ou du Copalme d’Amérique. La sécherie de la Joux de l’ONF se charge de la délicate recherche des graines de ces nouvelles essences à l’étranger. Le choix des essences résulte d’une savante équation. 

"Nous avons pris en compte plusieurs facteurs, notamment leur capacité à s’adapter au climat actuel dans leur jeune âge mais aussi au climat futur dans leur âge adulte. Nous considérons également la capacité des essences à produire du bois d’œuvre", explique Hubert Loye, responsable des projets complexes à l’ONF Grand Est. Les forestiers doivent également s’assurer que les arbres implantés soient en mesure de produire des graines en quantité suffisante pour se reproduire. En effet, le climat influe énormément sur la capacité d’un arbre à fructifier.

©Nathalie Petrel / ONF

L’équilibre forêt-ongulés, la clé du renouvellement des forêts

A cette délicate équation s’ajoute la pression que représente les ongulés (cerfs, biches, chevreuils, sangliers...), très friand de graines et de jeunes plantations. "La reconstitution des peuplements forestiers impose impérativement une maîtrise absolue des effectifs de grands ongulés. D’ores et déjà, les fortes densités de cervidés hypothèquent, dans de nombreuses zones, la régénération des peuplements", alerte Jean-Marie Aurand, directeur général par intérim de l’ONF. Quel que soit le mode de renouvellement choisi, de façon naturelle ou par plantation, les efforts de reconstruction des peuplements seront vains si l’équilibre n’est pas rétabli ou maintenu en forêt.

Dans le quart nord-est de la France par exemple, où l'on constate une très forte surpopulation d'ongulés, d'importants efforts de protection des plants sur les îlots d’avenir sont prévus. "Le premier ennemi des plantations, ce sont les ongulés. C’est pour cela que nous avons décidé de systématiser, sur nos plantations expérimentales, la pose d’enclos", témoigne Hubert Loye.

À lire aussi